lundi 9 février 2009

Humour rosarino et église maradonienne [Jactance & Pinta]

Le 11 février, donc après-demain mercredi, à Marseille, les Blancs et Ciel (Albicelestes) affrontent en match amical les Bleus, dans le cadre de la préparation aux éliminatoires de la Coupe du Monde de Football de 2010. Les Albicelestes, c’est la sélection nationale argentine, entraînée depuis le mois d'octobre dernier par Diego Maradona, et ça leur réussit plutôt bien ! Les Bleus, c’est la sélection nationale française, entraînée par Raymond Domenech (et les supporters français sont passablement critiques). Le match aura lieu au stade Vélodrome de Marseille, donc en France. Retransmission en direct sur TF1 pour la France, que je ne conseille pas à nos amis argentins : à trois jours du match, le site de TF1 annonce aujourd'hui un match France-Uruguay en direct du stade de France. Les commentaires éructants et au français hideux de Jean-Michel Larqué et consorts, ce n'est pas du Victor Hugo Morales. (Le journaliste et conteur uruguayen est d'ailleurs arrivé dans la cité phocéenne pour commenter le match en direct pour les Argentins, selon ce que m'annonce Carlos Carrizo, auteur d'un très beau livre de photos inédites sur Astor Piazzolla. Que je vous laisse chercher dans la rubrique Disques & Livres, dans le haut de la colonne de droite ?).


Et il se trouve qu'après-demain, si les Français jouent à domicile (ce qui devrait être un avantage), les Argentins auront Dieu lui-même assis sur le banc de touche...

Pour vous donner une idée de la taille du bonhomme qui a débarqué ce matin à Marseille à la tête de la délégation bicolore, voici, dans le texte original et en traduction française, l'essentiel du bréviaire de l’Eglise Maradonienne, née un jour d'anniversaire de Maradona en 1998 sur l'idée farfelue de deux supporters qui ont organisé des ressemblements patriotiques en honneur de Diego au pied du Monumento a la Bandera de leur ville, un impressionant monument au drapeaux de la cité fluviale de Rosario (un port au sud du Paraná, avant que la rivière se sépare en plusieurs bras, tout au nord de Buenos Aires, dans la Province de Santa Fe).

Cette Eglise a beau être une blague king-size, elle sert à dire quelques vérités sociales et politiques qui pour être énoncées sur un mode loufoque n’en sont pas moins bien senties...

L'Eglise Maradonienne s'intègre à une tradition d'humour politique très riche : la parodie carnavalesque des références catholiques. Dans cette tradition, à laquelle Horacio Ferrer sacrifie volontiers et avec maestria dans l'univers du tango (María de Buenos Aires avec Astor Piazzolla, Oratorio Carlos Gardel, avec Horacio Salgán, Yo payador avec Osvaldo Pugliese, et autres oeuvres, longues ou brèves), on s'empare des textes sacrés, on en conserve le rythme, la mélodie et les sonorités, que des années de récitation quotidienne ou dominicales ont enracinés dans toutes les oreilles (même celles de la petite minorité non-catholique, seulement 8% de la population argentine), et on s'en sert pour dire tout autre chose.

L'Eglise maradonienne professe sa foi en proclamant Diego (amen) et célèbre baptêmes (tout le monde, homme et femme, prend Diego en second prénom), professions de foi sur un autel où est exposé un ballon comme un Saint Sacrement, mariages (les deux époux doivent marquer un but de la main dans une cage sans gardien), Noël (l'anniversaire de Diego le 30 octobre) et Pâques depuis 2002 (le 22 juin, anniversaire du but que Maradona marqua de la main, "la mano de Dios", contre l'Angleterre, lors de la Coupe du Monde du Mexique en 1886, quatre ans après la défaite argentine aux Malouines).

Voici les 10 commandements de l'Eglise maradonienne.

Los 10 mandamientos (1)
1. La pelota no se mancha, como dijo D10S en su homenaje.
2. Amar al fútbol por sobre todas las cosas.
3. Declarar tu amor incondicional por Diego y el buen fútbol.
4. Defender la camiseta Argentina, respetando a la gente.
5. Difundir los milagros de Diego en todo el universo.
6. Honrar los templos donde predicó y sus mantos sagrados.
7. No proclamar a Diego en nombre de un único club.
8. Predicar los principios de la Iglesia Maradoniana.
9. Llevar Diego como segundo nombre y ponérselo a tu hijo.
10. No ser cabeza de termo y que no se te escape la tortuga.

1. Le ballon ne se salit pas, comme l’a dit D10S le jour où il lui fut rendu hommage (2)
2. Aimer le football par dessus toute chose.
3. Déclarer ton amour sans condition à Diego et au bon football.
4. Défendre le maillot argentin, en respectant les gens.
5. Faire connaître les miracles de Diego dans tout l’univers.
6. Honorer les temples où il a prêché et ses vêtements consacrés.
7. Ne pas proclamer Diego au nom d’un seul et unique club
(3)
8. Prêcher les principes de l’Eglise Maradonienne.
9. Porter en second prénom celui de Diego et le donner à ton enfant.
10. Ne pas perdre le nord et ne pas laisser échapper le gâteau...
(Traduction Denise Anne Clavilier)

A ces commandements s’ajoutent une tripotée de prières.
Or, contrairement à ce qui se produit en Europe, ces parodies d'authentiques et vénérables prières catholiques ne cherchent jamais à énoncer le contraire de ce que disent les textes originaux et ne sont jamais tournées contre l'image de Dieu, ni contre la foi des fidèles, ni contre l’Eglise. Ces pastiches ne cherchent à ridiculiser personne dans le domaine de la religion (ce n'est pas le cas pour les pontes de la FIFA, qui, eux, s'en prennent plein la figure). Bref, il ne s’agit pas de blasphème comme c'est le cas en Europe (et singulièrement en France, où ce genre d’exercice passe pour une preuve de liberté d’esprit, au détriment des croyants que l’on compte alors pour rien tout en se posant soi-même en champion de la tolérance).

D10s te Salve. Le Salve (4)

Dios te salve pelota.
Llena eres de magia,
el Diego es contigo.
Bendita tú eres entre todas las demás
y bendito es el Diego que no te deja manchar.
Santa redonda, madre del gol
ruega por nosotros los jugadores
ahora y en la hora de nuestro encuentro...
Diego.

Je vous salue, ballon (5)
plein de grâce
le Diego est avec vous
Vous êtes béni entre tous les autres
et béni est le Diego qui ne te laisse pas salir
(2)
Saint ballon rond, père du but (6)
Priez pour nous pauvres joueurs
maintenant et à l'heure de notre rencontre...
(7)
Diego
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Le Notre Père

Padre Nuestro (y es nuestro de verdad) (8)
Diego nuestro que estas en la tierra,
santificada sea tu zurda,
Venga a nosotros tu magia,
háganse tus goles recordar,
así en la tierra como en el cielo.
Danos hoy una alegría en este día,
y perdona aquellos periodistas
así como nosotros perdonamos
a la mafia napolitana.
No nos dejes manchar la pelota
y líbranos de Havelange..
Diego.

Notre Père (et pour le coup, c'est bien le nôtre)
Notre Diego qui est sur la terre
que ta jambe gauche soit sanctifiée
que ta magie vienne
que tes buts se gravent dans les mémoires
sur la terre comme au ciel
Donne-nous aujourd'hui une joie en ce jour
et pardonne tous ces journalistes
(9)
comme nous-mêmes nous pardonnons
à la mafia napolitaine
(10)
Ne nous soumets pas au déshonneur du ballon
mais délivre-nous d'Havelange...
(11)
Diego
(Traduction Denise Anne Clavilier)

L'Eglise Maradonienne dispose bien sûr d'un site (les images qui illustrent cet article en sont extraites). Cliquez sur ce lien pour y accéder.
La Fédération de Football argentine a aussi son site : la AFA.
Et si vous ne l'avez déjà fait en lisant les précédents articles où j'ai déjà parlé de lui, vous pouvez découvrir le journaliste uruguayen Victor Hugo Morales sur son site (colonne de droite, partie basse, rubrique Actu).

(1) Les jeux de mots commencent là. Comment ? A vous de voir en allant un tout petit peu plus loin...
(2) D10S : écrit en capitales comme ça, vous avez reconnu le mot Dios, Dieu. 10, c’était le numéro du maillot de Maradona dans l’équipe nationale. C’est aussi l’un de ses surnoms : El Diez. On dit aussi Diego ou El Diego, el Pibe de Oro (le môme en or), etc... "La pelota no se mancha" : au cours d’un hommage qui lui fut rendu au stade de La Boca, au moment où il quittait la carrière active de joueur sur le terrain, Maradona fit un discours très émouvant. Il y reconnut notamment avoir commis plusieurs fautes au cours de sa carrière (différents scandales auquel il avait été mêlé, notamment la naissance d’un enfant illégitime à Naples et son addiction à la cocaïne) mais conclut-il, la pelota no se mancha (le ballon ne se salit pas, ce qui est à la fois une constatation et une profession de foi envers la noblesse du foot qu'aucune contingence humaine ne peut atteindre). Cette phrase est restée dans toutes les mémoires argentines et au-delà. Elle a profondément ému tous ceux qui l’ont entendue et, de nombreuses années plus tard, elle reste effectivement très touchante (elle figure d’ailleurs dans le film que Kustorica a consacré à Diego et qui fut présenté au Festival de Cannes 2008). Maradona entendait alors aussi se laver des soupçons de dopage que la FIFA avait fait peser sur lui en 1994 en l’expulsant de la Coupe du Monde de Football aux Etats-Unis. Maradona a toujours clamé son innocence dans cette affaire et la plupart des Argentins le croient. Ils voient dans cette mesure la énième tentative des Etats-Unis (par FIFA interposée) pour humilier l’Argentine en salissant un joueur qui ne fait pas mystère de son admiration pour Fidel Castro et fédèrent ainsi de très nombreux latino-américains bien au-delà de la seule Argentine.
(3) Diego Maradona a joué dans plusieurs clubs, les plus importants étant Paternal (le club de ses tout débuts à Buenos Aires), Boca Juniors (celui du quartier de La Boca, son club préféré), le Barça (un club de Barcelone assez aristocratique et très riche, où il a été très malheureux), le SSC Napoli, le club de Naples, une ville pauvre rongée par la maffia, dont l'équipe ressemble beaucoup à Boca Juniors et que Maradona a emmené à des sommets internationaux, avant de retourner, fortune faite et gloire mondiale acquise, à La Boca, "heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage..." Diego Maradona est immensément fier de ce parcours et les Argentins derrière lui.
(4) Je vais faire ici non pas une traduction littérale du texte argentin mais m'appuyer sur la version liturgique française actuelle... Pour ceux qui ne connaissent pas le texte original en espagnol : Dios te salve María, llena eres de gracia, el Señor está contigo, bendita eres entre todas las mujeres y bendito el fruto de tu vientre, Jesús. Santa María, Madre de Dios, ruega por nosotros pecadores, ahora y en la hora de nuestra muerte. Amen. En français, la traduction liturgique s'exprime un peu différemment : Je vous salue, Marie, pleine de grâce. Le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort.
Même dans le rythme et les sonorités, les différences entre les deux versions sont infimes.
(5) Manque de bol ! Pelota est du féminin en espagnol et c'est un trisyllabique comme María. Or notre ballon est du masculin (la balle, c'est pour le tennis ou le ping-pong !).
(6) El gol : c'est à la fois le but et le gardien de but (que nous appelons le goal en bon franglish). Et évidemment avec ce changement de genre, la traduction française perd le sel du texte original !
(7) Enième jeu de mot du bréviaire. El encuentro, c'est la rencontre sportive mais c'est aussi une métaphore et un euphémisme qui désigne la mort (la rencontre avec Dieu).
(8) Voici le texte liturgique hispanophone : Padre nuestro que estas en el cielo, santificado sea tu nombre, venga a nosotros tu reino, hagase tu voluntad así en la tierra como en el cielo. El pan nuestro de cada día danosle hoy y perdonános nuestras ofensas así como nosotros perdonamos a los que nos ofenden. Y no nos dejes caer en la tentación mas libranos del mal.
En français : Notre Père qui es au ciel, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour et pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous soumets pas à la tentation mais délivre-nous du mal.
(9) les journalistes qui ont nourri des canards à scandale avec la relation de Maradona avec la cocaïne, ceux qui ont fait de l'argent avec son adultère à Naples, ceux qui l'ont poursuivi de leurs objectifs pendant ses cures de sevrage à Cuba et en Argentine, etc.
(10) Allusion aux ennuis que la mafia a causés à Maradona à Naples (notamment l'addiction à la cocaïne et cette histoire d'adultère d'une vulgarité sans fond).
(11) pour les passionnés de tango qui ne connaissent rien au foot, João Havelange, né en 1916 au Brésil mais élevé en Belgique, fut de 1974 à 1998 président de la FIFA (la fédération internationale du foot professionnel) et il siège depuis 1963 au Comité Olympique International. C'est lui qui présidait la FIFA pendant la carrière de joueur de Maradona, lui qui a donc avalisé son exclusion du Mundial de 1994. Les amateurs de foot argentins l'accusent d'être vendu au business et affidé aux intérêts des grandes puissances politico-économiques (chaînes de télé, multinationales assurant le sponsoring des matchs de foot, Grande-Bretagne tatchérienne et Etats-Unis, tous confondus). En plus, il est né au Brésil, qui est l'ennemi héréditaire sur les terrains de foot (et pas seulement sur le terrain).