dimanche 2 février 2014

A l'heure de San Lorenzo (le combat, pas le foot !) [Histoire]

Générique de l'émission

Aujourd'hui, les festivités de commémoration de la victoire de San Lorenzo (pas à Almagro, il ne s'agit pas d'un tournoi sportif !) commencent dans la localité du même nom, dans le département de San Martín et la Province de Santa Fe. Victoire militaire remportée par José de San Martín, en un quart d'heure (sic), sur un détachement montévidéen de soldats fidèles au dernier vice-roi, renversé le 25 mai 1810 à Buenos Aires par la Revolución de Mayo.

On fête cette année le deux cent-unième anniversaire de ce combat qui, sous l'impulsion du futur général San Martín, libéra le littoral du Paraná, des incursions contre-révolutionnaires d'un seul coup et presque définitivement. Et c'est aussi la clôture du bicentenaire de ce glorieux épisode de la guerre d'indépendance qui commençait à peine et qui allait durer jusqu'en 1816 puis se transformer en guerre civile à partir de 1819.

"Les bienfaits du Couvent de San Carlos sont trop bien gravés dans mon cœur pour que ni le temps ni la distance puissent les effacer.
[…] Dites un million de bonnes choses à ces vertueux religieux.
Assurez-les que je les aime de tout mon cœur
et que ma reconnaissance durera aussi longtemps que ma vie."
José de San Martín
lettre au Révérend Père franciscain Pedro García, gardien de ce couvent
16 mai 1813

Les frères franciscains avaient accueilli San Martín et ses hommes dans le couvent pour la préparation du combat et ils avaient ensuite administré les secours spirituels et médicaux aux soldats et aux prisonniers légitimistes.

Sur Canal Encuentro, la chaîne culturelle du service public argentin, une excellente chaîne, qui joue un peu le rôle que tient dans l'Hexagone France 5, une émission d'histoire animée tout en rondeurs et en fausse bonhomie par Pacho O'Donnell (1), militant du courant revisionista (entendez hostile à l'interprétation oligarchique du passé argentin), pose rituellement la question de ce qu'il se serait passé si... tel événement n'avait pas eu lieu.

Il existe donc une émission sur le combat de San Lorenzo. Elle est présentée en intégralité sur You Tube.

L'émission a été en partie tournée devant et dans la caserne du Régiment des Grenadiers à cheval (RGC), protagoniste collectif des célébrations de San Lorenzo, à Palermo (Buenos Aires) et à San Lorenzo (Provincia Santa Fe) (2). On y voit intervenir plusieurs intellectuels péronistes ou sympathisants de la cause, comme Felipe Pigna, professeur d'histoire à l'Unsam (Université nationale San Martín) et le sociologue Horacio González, qui préside aux destinées de la Bibliothèque Nationale argentine. Vous remarquerez que les péronistes ou pro-péronistes ne portent pas la cravate (trop connotée politiquement pour eux) alors que Terragno, qui ne fait pas partie de ce sérail, en arbore une (et fort voyante). Or il n'est pas présenté comme historien (et que fait-il donc là, s'il n'est pas historien ?) mais comme avocat et écrivain (ça lui apprendra à ne pas être du bon côté, et toc !).

Vous repérerez votre lot de silhouettes immobiles et impassibles, en uniforme marine à liseré rouge, l'uniforme des grenadiers, si cher au cœur des Argentins. Si vous ne les remarquez pas, vous avez un problème ophtalmique... Un plan sur l'authentique sabre courbe de San Martín dans son reliquaire de la caserne de Palermo, dans le hall d'honneur, et un autre, avec O'Donnell à côté comme le ferait un touriste ou un gamin en visite scolaire, sur la copie du drapeau de l'armée des Andes, dans une autre vitrine, tout près du sabre (l'original est à Mendoza). Et enfin, le cheval de San Martín est bien entendu blanc, du début à la fin, sur toutes les images, picturales ou cinématographiques, alors qu'il ne s'agit là que d'une très classique recette d'artiste bien formé, pour construire un tableau dans les règles de l'art. Ce cheval blanc ne correspond en rien à la réalité.

Bref, la symbolique est aussi chargée que dans un épisode de Secrets d'histoire de Stéphane Bern, sur notre service public français. Quant à la géographie européenne, elle est comme d'habitude des plus approximatives : la route maritime empruntée par la Santa Balbina, frégate qui conduit la famille San Martín en Espagne en 1784, trouve Cadix en Galice et le navire anglais qui amène San Martín à Londres en 1811 le fait débarquer en Ecosse (3).

Vingt-cinq minutes d'un documentaire très bien fait sur le plan cinématographique, impeccable pour découvrir la caserne des Grenadiers à Buenos Aires, à déguster en savourant un bon mate bien chaud accompagné d'un conito Havanna ou d'un alfajor Jorgito (c'est moins cher mais plus industriel) (4)... Profitez qu'on est en hiver. A San Lorenzo, par ces chaleurs, le conito Havanna fond dans la main avant d'avoir atteint la moindre bouche !

Pour aller plus loin :
visiter le site Internet de l'Institut Manuel Dorrego (je raccourcis à dessein une dénomination interminable) et sa page Facebook



(1) Depuis quelques années, Pacho O'Donnell préside les destinées de l'institut d'histoire révisionniste Manuel Dorrego, fondé par l'actuel gouvernement, pour soutenir les thèses historiques alternatives (c'est peu dire que cette fondation a créé du scandale dans le milieu académique argentin, surtout pour le choix hyper-partisan du président en question). En Argentine, l'histoire est toujours un lieu de contentieux idéologique et politique et n'est pas encore celui du débat méthodologique et scientifique qu'elle est devenue en Europe ou en Amérique anglo-saxonne. Il faut donc prendre ce que dit Pacho O'Donnell avec des pincettes : c'est un historien qui a tendance à adapter les événements à ses désirs et non l'inverse. Et ce qu'il dit nous en apprend plus sur ce que pourrait bien l'Argentine demain ou après-demain que ce qu'elle a été, ou telle qu'on peut la considérer avec l'objectivité qui s'impose à l'historien.
(2) La caserne de Palermo abrite le Musée du Régiment. Nous le visiterons au cours du voyage que je propose avec Human Trip : le Roman national argentin, voyage culturel, humain et solidaire, du 24 avril au 8 mai 2014.
(3) Ce ne sont pas les seules erreurs. Le commentaire dit par une voix féminines nous sert deux grosses âneries auxquelles même certains historiens révisionnistes sérieux, comme Norberto Galasso, ont tordu le cou : la mort de Bermúdez qui se serait taillé les veines après le combat de San Lorenzo pour ne pas avoir suivi parfaitement les ordres du colonel (le pauvre officier est mort d'une amputation. Vous pensez si, à cette époque, pour mourir après l'amputation d'une jambe, on avait encore besoin de s'ouvrir les poignets !), Cabral qui serait un esclave (si cela avait été le cas, il n'y a pas le moindre doute qu'on en trouverait trace dans le rapport sur les morts au combat rédigé par San Martín après la bataille, vu les positions résolument abolitionnistes qui étaient les siennes) et enfin que Cabral a été promu sergent post-mortem, ce qu'on verrait aussi dans les documents officiels dans les mois de février ou mars 1813. Non, Cabral a été fait sergent par la vox populi, notamment dans sa province natale de Corrientes, peut-être plus simplement encore par des propagandistes postérieurs, comme Bartolomé Mitre, qui construisaient déjà la légende en s'éloignant de l'histoire ou enfin, tout simplement, par le letrista de la Marcha de San Lorenzo, dont je vous parlerai demain et qui a été composée alors qu'il ne restait plus en vie aucun témoin de l'événement.
(4) Le conito Havanna, c'est un petit cône de dulce de leche recouvert de chocolat qui fait deux bouchées et pas une de plus, le tout dans une marque très chère. L'alfajor de Jorgito, c'est le bon vieux choco-BN de l'Argentine : deux sablés collés ensemble par une couche de dulce de leche (ou de pâte de fruit), le tout recouvert d'un glaçage blanc ou de chocolat noir. Miam miam !