dimanche 12 mai 2013

La première biographie du Pape à la Feria del Libro [à l'affiche]

Cette couverture est en soi tout un poème.
Photo qui joue le culte de la personnalité
Sous-titre sensationnel :
"l'homme qui veut changer l'Eglise"

Hier, à la Feria del Libro, le journaliste de La Nación Mariano de Vieda (à droite sur la photo ci-dessous) présentait, à côté d'un prêtre, dont il parle comme d'un de ses anciens camarades d'école, le Père José Di Paola (Padre Pepe pour les intimes, le journaliste s'en délecte comme s'ils gardaient les cochons ensemble toute la journée !), la première biographie en espagnol du nouveau Pape. Au titre passablement démagogique : Francisco le Pape du Peuple (paraphrase de la formule inventée par Tony Blair pour la princesse Diana).

Même si l'ouvrage est écrit par un journaliste argentin pour qui ce nouveau Pape ne pouvait pas être un inconnu, il va sans dire que le peu de temps qu'il a consacré à sa rédaction (1), pour une sortie  le 25 avril, ne peut en faire qu'un bouquin de circonstance, une publication opportuniste, dont un lecteur avisé évitera de s'encombrer (2). C'est d'autant plus évident que, comme je vous l'ai montré ces dernières semaines, les articles de La Nación sur le fait religieux ne brille guère par la profondeur de leur contenu. Or l'auteur est justement le chroniqueur religieux du quotidien.

Le livre, publié chez Destino, une filiale du géant espagnol Planeta, fait ce matin l'objet d'un entrefilet dans La Nación, avec plus de place pour la photo que pour le texte (on est jamais mieux servi que par soi-même ou par les siens). Le papier, signé Fernando Massa, est si indigent qu'il m'évite d'avoir à vous le traduire. Il contient essentiellement une anecdote absurde sur une dame qui s'est un jour confessée auprès du Cardinal Bergoglio dans le métro (quelle idée !) et qui, au lieu de se réjouir d'avoir prié, s'est mise à se vanter auprès des autres voyageurs d'avoir été confessée par le prélat. Proprement affligeant ! L'autre fait saillant du papier (si l'on peut dire) est cette mention qui nous présente, comme en passant, le père Di Paola comme le "référent des curés villeros" (des bidonvilles), ce qui ne veut rien dire. Lui-même, pour soutenir le livre de son vieux copain d'école, aurait tenu les propos mémorables, repris par Massa en citation indirecte, que voici : la biografía es un libro que acerca mucho a la figura de Bergoglio en sus días en la Argentina, cuando viajaba en subte, colectivo o tomaba mate con un grupo de gente en alguno de los asentamientos de la ciudad. (La Nación) – "Cette biographie est un livre qui nous montre bien la figure de Bergoglio quand il vivait en Argentine, qu'il se déplaçait en métro et en bus et qu'il buvait le mate avec un groupe de gens dans l'un ou l'autre quartier déshérités de la ville" (traduction Denise Anne Clavilier).


On en apprend des choses, n'est-ce pas ? Il est clair que le journal, qui instrumentalise à longueur d'année la gravité des problèmes sociaux du pays pour attaquer la gauche, surtout si elle est au pouvoir, sans jamais proposer de solutions un tant soit peu réalisables ou justes à ce phénomène, se sert ici de cet homme comme d'une caution morale.

Avec de pareils amis, l'Eglise n'a pas besoin d'ennemis en Argentine...
Et l'on comprend dès lors que le Cardinal Bergoglio n'ait jamais accordé d'interview à la presse.

Pour aller plus loin (si le cœur vous en dit) :
lire la présentation du livre sur le blog de l'éditeur, Destino (c'est du même tonneau, discours amphigourique et creux, avec des réflexions imbéciles, du genre : comment est-il devenu le premier pape argentin et jésuite en 2000 ans ? Vu que l'Argentine a deux cents ans et la Compagnie de Jésus cinq cents, cette question est en soi un non-sens).


(1) Il dit lui-même, dans cet article, avoir écrit le bouquin à Rome où il est parti au lendemain de l'élection comme envoyé spécial pour l'ouverture du nouveau pontificat. Il est peu probable qu'il ait eu sa documentation avec lui (pour être de qualité, une grande partie de celle-ci ne peut être constituée que de documents imprimés épars, livres, feuillets de messe, bulletins paroissiaux et diocésains, documents émis par différentes conférences épiscopales, nationale et régionale, auxquelles a appartenu le cardinal, voire qu'il a présidées, revues spécialisées, coupures de presse argentine, sud-américaine, vaticane et italienne...). Or une fois dans la Ville Eternelle, il a dû avoir du travail à revendre vu l'agenda ultra-chargé du nouvel élu ces jours-là et il n'a passé en Italie qu'une petite semaine tout au plus, car la charge économique que représente pour un journal sud-américain le séjour d'un de ses journalistes en Europe ne permet pas d'y maintenir plus longtemps un envoyé spécial et c'est à Rome, nous dit-il, qu'il a fini le livre !
(2) Mieux vaut attendre un ou deux ans pour voir apparaître dans nos librairies des travaux dignes d'intérêt. En France aussi, un éditeur s'est précipité sur le sujet et le journaliste Michel Cools a signé un truc, sorti bien trop tôt pour que le rapport qualité/prix soit à l'avantage du lecteur. Ce qui est en revanche intéressant dès à présent, ce sont les recueils d'homélies et de réflexions déjà en vente ou en cours de préparation. Le travail critique est bien moindre pour l'éditeur qui constitue le recueil et les ouvrages sont donc réalisables dans les délais impartis par les exigences du marché, à un moment où le secteur du livre se porte modérément bien, à cause de la crise et de la piraterie sur Internet. Ce qui n'oblige aucun éditeur à gruger le client pour autant.