mardi 19 mars 2013

Les bons vœux du San Lorenzo [Actu]

Ecusson du San Lorenzo
dont on a vu la bannière déployée
Place Saint-Pierre ce matin

Quand il vivait en Argentine, jusqu'à il a quelques jours, le cardinal Bergoglio était supporter du San Lorenzo de Almagro et il en est (était ?) même sociétaire (socio) et pourtant il est né à Flores, le quartier voisin. En Argentine, une immense majorité d'hommes (sans que cela exclue les femmes) sont sociétaires d'un club et en général, quand on l'est, on l'est à vie. On ne change pas de club en fonction des victoires ou des défaites (même chose en Italie d'ailleurs, on est fidèle à son club, pour le meilleur et pour le pire) et appartenir à un club va bien au-delà de soutenir une équipe sportive. Ces institutions sont le cadre de toute une vie de voisinage intense et font aussi office de centres sociaux et culturels, avec des formations professionnelles, des activités sportives et artistiques, des cours de rattrapage, du soutien scolaire, de l'alphabétisation pour les adultes, des dispensaires, un centre aéré pour les gamins pendant les vacances scolaires, des consultations juridiques, tous services en général gratuits, ou à des tarifs dérisoires, et souvent mis en œuvre gracieusement par des sociétaires qui font profiter les autres de leurs compétences.

Le Club de San Lorenzo de Almagro rassemble des équipes de plusieurs sports et couvre les actuels quartiers de Almagro et Boedo (prélevé sur le territoire de Almagro un demi-siècle après la fondation du club). Ses couleurs sont le bleu marine et le grenat, on désigne donc les sociétaires (et à plus forte raison les joueurs eux-mêmes) comme les azulgranas.

Sous la signature des deux dirigeants du club, Matías Lammens et Marcelo Vázquez, le San Lorenzo s'est donc fendu d'un message de félicitation à l'occasion de l'accession au trône de saint Pierre de son plus célèbre sociétaire. Je ne suis pas de très près les vicissitudes sportives de ce club mais il ne m'est pas étranger. Je me suis plusieurs années logée dans Almagro lors de mes séjours à Buenos Aires et il faut être sourd et aveugle pour échapper à la présence du San Lorenzo dans ses rues. Qui plus est, c'était l'équipe de foot préférée de mon ami, l'auteur-compositeur interprète (cantautor) Alorsa, qui rêvait de m'emmener un jour à la cancha del San Lorenzo (le stade du club) pour assister à un bon match avec lui et d'autres supporters, ce qu'il ne nous fut pas donné de réaliser... Le San Lorenzo a été fondé au début du XXe siècle par un prêtre de paroisse qui en a fait aussi un formidable lieu d'évangélisation dans la tradition d'acculturation apportée en Amérique du Sud par les jésuites...

Voici donc la missive, succulente, pleine de verve et d'une affection qui semble sincère (1), envoyée jeudi dernier à Rome.

"Le Club Athlétique San Lorenzo de Almagro et tout le peuple bleu-grenat se félicite de votre désignation comme Souverain Pontife de l'Eglise Catholique.

La fierté de savoir que vous participez à notre passion, comme supporter et sociétaire de notre institution, et que vous avez partagé des moments particuliers de notre histoire, tels cette messe que vous avez vous-même célébrée en 2008 dans l'Oratoire San Antonio pour les festivités de notre premier centenaire, vos tâches pastorales dans notre chapelle Padre Lorenzo Massa (2) ou simplement vos encouragements à notre équipe depuis vos jeunes années (3), [qui] sont des circonstances qui soulignent votre humilité, votre bonhomie et vos valeurs.

Sachez que pour nous, vous n'êtes pas n'importe quel Pape, [vous n'êtes] pas non plus le premier "Pape argentin" ou latino-américain ou le premier Pape jésuite, vous êtes le "Pape de San Lorenzo" ou, [pour le dire] dans un langage plus footballistique, notre premier "Pape Corneille" (4).

Ce [Pape] qui, à n'en pas douter, durant son pontificat déploiera le même labeur missionnaire qui a motivé la fondation de notre club.

Nous vous saluons et vous accompagnons dans votre intense tâche, présente et future, à la poursuite de la fraternité des peuples, de l'équité et de la justice sociale."
(Traduction Denise Anne Clavilier)

En 1930, le San Lorenzo et son lien avec le quartier avaient inspiré un tango, Almagro, chanté ici par Antonio Rodríguez Lesende (traduit dans Barrio de Tango, ed. du Jasmin, p 265).
Mais le Pape, tout sociétaire du San Lorenzo qu'il soit, est natif du quartier de Flores, dont le saint patron est justement saint Joseph, que l'on fête aujourd'hui, en sa qualité de Père de l'Eglise (5)... Ici, San José de Flores, un tango de 1936, interprété en l'occurrence par l'orchestre de Osvaldo Pugliese et son chanteur Alberto Morán dans les années 1950 (San José de Flores est traduit dans Barrio de Tango, p 29)
Et puis comme la fête du Pape c'est surtout le 29 juin, quand l'Eglise célèbre ses deux Apôtres les plus éminents, saint Pierre et saint Paul, voici comment le groupe La Chicana, avec la voix de Dolores Solá, décrit, dans San Pedro y San Pablo, cette fête d'hiver où le feu de joie (que nous appelons, nous, feu de la saint-Jean, donc celui du 24 juin) joue les vedettes dans les quartiers pauvres.
Et merci à Todo Tango de nous offrir tous ces enregistrements, si représentatifs de l'histoire du genre, dans son audiothèque, la plus fournie et la plus diversifiée du Web...



(1) Il faut toujours resté prudent devant les enthousiasmes des présidents de club sportif en Argentine. Pour les grands clubs dotés d'équipes professionnelles (c'est le cas ici), c'est souvent une fonction qui permet d'accéder à une carrière politique pas toujours marquée au coin de l'honnêteté et ces hommes ne sont pas toujours des enfants de chœur (voir le cas de Mauricio Macri, qui était le président du Boca Juniors et dont la gestion semble avoir été assez trouble).
(2) Le père Lorenzo Massa est le fondateur du Club. Il avait pris le nom de son saint de baptême pour fonder l'institution. Ce prêtre était un personnage somptueux !
(3) Il a donc intégré le club en culottes courtes, ce qui n'a rien d'extraordinaire pour un gamin de Flores. En bondi (le défunt tramway), il fallait quelques minutes pour rejoindre un bon nombre des infrastructures du San Lorenzo.
(4) Impossible à traduire exactement : si on transpose littéralement en français, on aboutit à un contresens. Cuervo, c'est le corbeau. Et s'il y a bien une chose que le Pape n'est pas, c'est ce prêtre sinistre en soutane noire et au comportement d'un autre âge qui fait penser à cet oiseau de mauvais aloi. Au San Lorenzo, le corbeau, c'est tout autre chose. C'est l'un de ses symboles et l'un des surnoms dont s'affublent eux-mêmes les socios. Je veux bien parier que d'ici peu une chasuble bleu et grenat va arriver à Rome avec une croix pectorale en forme ballon rond sur lequel se détacheront en bas relief un Christ crucifié d'un côté et les armes du club de l'autre ! Mais dès à présent, les supporters (hinchas) prévoient de lui envoyer un maillot de l'équipe dûment personnalisé pour une canonisation immédiate ! Voir l'illustration ci-dessus.
J'ai tâché dans ma traduction de vous donner à entendre toute la richesse sémantique accessible aux Argentins. Il se trouve qu'il y a eu un Pape Corneille, au IIIe siècle, en pleine période de persécution et de schisme restée très douloureuse dans la mémoire des chrétiens. Son pontificat vigoureux mais très court (un peu plus d'un an) lui valut la couronne du martyre comme c'était le cas de beaucoup d'évêques en cette époque troublée qui achemina néanmoins pas à pas l'Eglise vers une reconnaissance politique par l'empereur Constantin. On doit à saint Corneille la première organisation méthodique des activités caritatives et du clergé dans le diocèse de Rome (il fallait au moins ça pour lutter contre les forces de désagrégation à l'œuvre au milieu du IIIe siècle). Il semblerait que la question soit à nouveau à l'ordre du jour...
Saint Corneille est fêté le 16 septembre avec un autre martyre, saint Cyprien (qui vécut surtout en Afrique du Nord).
(5) On fête aussi saint Joseph le 1er mai comme patron des travailleurs. Une christianisation de la fête du Travail, procédé constant dans l'histoire selon lequel l'Eglise s'est toujours intégrée à son époque et à la société au sein de laquelle elle évolue.