lundi 3 décembre 2012

Un Día Nacional del Mate à partir de 2013 ? [Coutumes]


Image créée par le collectif Somos Argentina (l'Argentine, c'est nous)

Une députée de la majorité (Frente para la Victoria, le parti de Cristina Kirchner), Julia Perié, qui siège pour la Province de Misiones, au nord-est de l'Argentine, vient d'obtenir de la Chambre des Députés le vote d'une loi qui fait du 30 novembre la Fête Nationale du Maté en Argentine, si toutefois cette loi est confirmée par le Sénat.

Pourquoi le 30 novembre ? Parce que c'est l'anniversaire de naissance d'un des héros de l'indépendance dans les anciennes Missions jésuites, Andrés Guacurarí Artigas, plus connu sur place comme Andresito. L'homme était un Indien guarani, né dans l'une ou l'autre agglomération fondée par les jésuites, le 30 novembre 1778 (autrement dit, il était un strict contemporain de José de San Martín, né lui aussi dans la même région, à Yapeyú, le 25 février 1778). Andresito bénéficia de la tradition de l'instruction populaire instituée par la Compagnie de Jésus dans ces zones qui leur avaient été confiées par le roi d'Espagne au 17ème siècle et dont ils furent expulsés entre 1767 et 1773. Mais une bonne partie du clergé diocésain, envoyé sur place par l'évêque de Buenos Aires pour assurer la direction des âmes, reprit la tradition jésuite et continua, presque clandestinement, d'instruire les Guaranis alors que les Indiens se voyaient ordinairement interdit l'accès à la lecture et à la maîtrise du calcul dans les territoires coloniaux soumis à l'administration laïque. Andresito devint un érudit qui parlait plusieurs langues et un musicien, comme tant et tant d'Indiens des Missions. Vers 1811, il croisa la route du grand révolutionnaire uruguayen José Artigas qui l'adopta et en fit son bras droit dans la région, alors qu'il tâchait d'unir contre l'impérialisme de Buenos Aires la Banda Oriental (actuel Uruguay), les anciennes Missions et tout ou partie du Paraguay, qui avait très vite pris son indépendance sous la dictature du juriste Gaspar de Francia. On suit l'activité politique et militaire de Guacurarí jusqu'au 3 juillet 1821, jour où l'on sait qu'il est arrivé à Montevideo dans le cadre d'une nouvelle mission révolutionnaire, comme l'un des dirigeants de l'insurection fédérale contre l'unitarisme portègne. Et là, on perd sa trace. On ne sait ni quand, ni comment, ni où il est mort.

Dans la Province de Misiones, il est honoré comme un grand héros d'une position politique qui, pour avoir été vaincue dans les années 1850, n'en reste pas moins profondément populaire dans toutes les Provinces qui composaient déjà le pays à l'époque de l'indépendance et des guerres civiles... Les autorités de Misiones espèrent que cette fête du mate sera aussi l'occasion de faire connaître dans toute l'Argentine cette figure  historique, trop longtemps réduite à n'être qu'une légende locale, comme pour la plupart des dirigeants fédéraux.

Le Día Nacional del Mate prend place parmi les nombreuses initiatives législatives destinées à valoriser et à promouvoir les idiosyncrasies du pays et les éléments de sa culture populaire en pleine élaboration. Ici, l'initiative vient du nord, ce qu'on appelle en Argentine le Littoral, une région essentiellement rurale et qui doit aux Chutes d'Iguazu d'être une zone touristique de premier plan.

Voici le texte de la proposition de loi :

PROYECTO DE LEY
Art. 1- Institúyase el día 03 de Marzo de cada año como “Día Nacional del Mate”, a fin de promover el reconocimiento permanente de nuestras costumbres.
Art. 2- La fecha mencionada queda incorporada al calendario de actos y conmemoraciones.
Art. 3- El Poder Ejecutivo Nacional, realice la más amplia difusión de la celebración a través de los mecanismos de comunicación oficial.
Art. 4- Invitar a las provincias adherirse a la celebración, dando en el ámbito de su jurisdicción la más amplia difusión a la celebración.
Art. 5- De forma.

Projet de loi (1)
Article 1 : Le 3 mars de chaque année (2) est institué comme Fête nationale du Mate, afin de promouvoir la reconnaissance permanente de nos coutumes.
Article 2 : La date [ci-dessus] mentionnée est intégrée au calendrier des cérémonies et commémorations.
Article 3 : Le Pouvoir Exécutif National (3) donne la plus ample publicité à la célébration à travers les mécanismes de communication officielle.
Article 4 : Les Provinces sont invitées à contribuer à cette célébration, en donnant sur le territoire de leur juridiction la plus ample publicité à la célébration.
Article 5 : Dispositions formelles...
(Traduction Denise Anne Clavilier)


Blason de la Province de Misiones :
le soleil levant argentin, les chutes d'Iguazu et deux rameaux de yerba mate,
avec les petites baies caractéristiques (le mateier est une sorte de houx)

Voici le texte publié par la députée en sa qualité de rapporteur du projet, sur son site Internet :

FUNDAMENTOS

Señor Presidente;

La iniciativa de instituir el día 03 de Marzo como “Día Nacional del Mate”, sirva como objeto otorgar el reconocimiento permanente a nuestra identidad como pueblo y sus tradiciones, ya que se sobreentiende que la cultura de un pueblo es el conjunto de creencias, hábitos y actitudes aprendidas por el individuo, que se trasmiten de generación en generación y que su raíz muchas veces, no se pueden establecer con claridad.
Julia Perié

ATTENDUS

Monsieur le Président

L'initiative d'instituer le 3 mars comme jour de la Fête nationale du Mate doit avoir pour objet d'attribuer une reconnaissance permanente à notre identité en tant que peuple [lié à] ses traditions puisque -faut-il le rappeler ?- la culture d'un peuple est l'ensemble de croyances, d'habitudes et d'attitudes apprises par l'individu, qui se transmettent de génération en génération et dont les racines, la plupart du temps, ne peuvent pas être identifiées clairement.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

El consumo del mate se inicia generalmente, en el primer grupo social que integramos; la familia y en algunos casos se instruye más adelante con grupos sociales como círculos de amistad o camadería. Pero el ámbito común de iniciación es en la familia, como todo habito o costumbre.
En la familia el individuo aprende como prepararlo, las formas de cebarlo, de tomarlo, las maneras de servirlo y hasta su lenguaje. Porque el mate tiene su propia expresión con el cual se formulan diferentes sentimientos y pensamientos. Tomar mate en una ronda de amigos, significa no solo reunión, sino “camadería”, el estar juntos y compartir ese bien, que une al grupo y lo acompaña en cualquier ocasión.
Julia Perié

On commence généralement à consommer le mate dans le premier groupe social dont nous faisons partie, la famille, et dans quelques cas on s'y initie plus avant avec des groupes sociaux comme des cercles d'amis ou de camaraderie. Mais le milieu ordinaire de l'initiation est la famille, comme toute habitude ou coutume.
En famille, l'individu apprend à préparer [le mate], à l'arroser (4), à le boire, à le servir et [il apprend] jusqu'à son langage. Parce que le mate dispose de son propre langage avec lequel s'expriment différents sentiments et pensées (5). Boire le mate entre amis ne signifie pas seulement qu'on est ensemble mais qu'il y a là une camaraderie, le fait de se réunir et de partager ce patrimoine qui lie le groupe et nous accompagne en toute occasion.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Nuestra costumbre de “mateadores” debe ser protegida y promocionada como forma de rescatar las culturas y costumbres nacionales. La ceremonia del mate no distingue la gente del campo como de la ciudad, proclama la armonía y cordialidad, entorno al ritual de “cebando mate”.
Para poder tomar mate se necesitan ciertos elementos, el recipiente (mate), la bombilla y la yerba mate. El origen de la denominación “mate” proviene del vocablo quechua “mati” que significa cuenco o recipiente hecho con el fruto de una calabaza común, llamada por los indios “puru”, existen diferentes mates según el material con que estén hechos y son diferentes según las necesidades de cada región donde se utilizan.
Julia Perié

Nos coutumes d'amateurs de mate doivent être protégées et promues comme une manière de sauvegarder les cultures et les coutumes nationales. La cérémonie du mate rassemble les gens de la campagne et ceux de la ville, célèbre l'harmonie et la cordialité qui entourent le rituel de la préparation du mate.
Pour pouvoir boire le mate, on a besoin de certains éléments, le récipient (mate), la bombilla (6) et la yerba mate (6). L'origine de la dénomination mate vient du mot quechua "mati" qui signifie pot ou récipient fabriqué à partir d'une coloquinte ordinaire, que les Indiens appellent "puru". Il existe différents mates en fonction du matériau dans lequel ils sont faits et ils varient aussi en fonction des besoins de chaque région où on les utilise.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

El conocimiento de la Yerba mate se remota a los albores de la cultura guaranítica, siendo el alimento básico de los indios que usaban como bebidas, sorbiéndolas de calabazas mediante bombillas hechas de caña, o bien masticando sus hojas.
La Yerba mate tuvo en la cultura guaraní, un rol social, pues era objeto de culto y ritual, a la vez de moneda de cambio en sus trueques con otros pueblos prehispánicos, incas, charruas y aún los araucanos a través de los pampas que recibían la Yerba elaborada por los guaraníes.
Julia Perié

On connaît la Yerba mate depuis l'aube de la culture guaranie, puisque l'aliment de base des Indiens se prenait sous forme liquide, comme une boisson qu'ils avalaient gorgée après gorgée dans des cucurbitacées grâce à des bombillas en canne ou bien par la mastication des feuilles.
La Yerba mate a tenu dans la culture guaranie un rôle social puisqu'elle faisait l'objet de cultes et de rituels, en même temps qu'elle servait de monnaie d'échange dans les trocs avec d'autres peuples pré-hispaniques, Incas, Charruas et encore Araucanos, à travers les pampas qui recevaient la Yerba élaborée par les Guaranis.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Los conquistadores españoles aprendieron de los guaraníes su uso, e hicieron que su consumo se difundiera en un intenso tráfico desde su zona de origen a todo el Virreinato del Río de La Plata.
Su doble condición de alimento y sustancia estimulante, fue descrito en los informes periódicos de los misioneros jesuitas, quienes promovieron el cultivo en forma orgánica y adoptaron el consumo preparándolo a modo de té inglés, con lo que fue conocido en Europa como el té de los jesuitas.
Las plantaciones de yerba mate se encontraban en el “infierno verde” que alcanzaba el norte de Corrientes, Misiones, el interior de Paraguay y sur de Brasil. Fueron los jesuitas quienes decidieron desarrollar plantaciones cercanas a sus reducciones.
Los jesuitas fueron los que develaron el secreto de la misteriosa germinación de la semilla de la yerba mate, descubriendo que solamente germinan aquellas semillas que han pasado por el sistema gástrico de los tucanes. Pero, en su expulsión, ocurrida en 1769, se llevaron con ellos el secreto, sobreviniendo el abandono de las plantaciones, perdiéndose la tradición de su cultivo.
Julia Perié

Les conquistadors espagnols apprirent des Guaranis à l'employer et ils firent que sa consommation se répande grâce à un intense trafic depuis la zone d'origine jusqu'aux extrémités du vice-royaume du Río de la Plata (7).
Son double caractère d'aliment et de substance stimulante a été décrit dans les rapports fréquents des missionnaires jésuites, lesquels promurent sa culture de manière biologique (8) et adoptèrent la consommation en préparant le mate comme le thé anglais (9), nom sous lequel [le mate] se fit connaître en Europe, comme le thé des jésuites.
Les plantations de yerba mate se trouvaient dans "l'enfer vert" qui comprenait le nord de [la Province de] Corrientes (10), [la Province de] Misiones, l'intérieur du Paraguay et le sud du Brésil. Ce furent les jésuites qui décidèrent de développer les plantations près de leurs réductions (11).
Ce sont les jésuites qui trouvèrent le secret de la mystérieuse germination des semences de yerba mate, en découvrant que ces semences ne germaient que si elles étaient passées par le système gastrique des toucans. Mais, au moment de leur expulsion intervenue en 1769, ils emportèrent avec eux le secret, entraînant l'abandon des plantations et la perte de la tradition de cette culture. (12)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Medio siglo más tarde, el naturalista francés Aimé Bompland, inició los primeros estudios científicos sobre la planta de la yerba mate, hasta entonces solo se consumía la que provenía de la selva, plantaciones que crecían en manchones con gran densidad de árboles, llamadas islas.
La explotación irracional en la que la tala de los árboles fue moneda corriente por siglos, terminó insumiendo por completo el recurso que parecía inagotable. Solo con las plantaciones racionales, los cultivos volvieron a encontrar su lugar en la historia.
En la década de 1920, comenzó la colonización de Misiones, el Gobierno Nacional adjudicó parcelas de tierras a los colonos europeos, con la condición de que una parte de las mismas fueran implantadas con plantaciones de yerba mate.
Julia Perié

Un demi-siècle plus tard, le naturaliste français Aimé Bompland lança les premières études scientifiques (13) sur la plante à yerba mate. Jusqu'alors on ne consommait que celle qui provenait de la jungle (14), de plantations qui poussaient en buissons avec une forte densité d'arbres, qu'on qualifiait d'îlots.
L'exploitation irraisonnée qui fit que l'abattage des arbres fut monnaie courante pendant des siècles finit par consommer complètement la ressource qui paraissait inépuisable. Ce n'est qu'avec les plantations raisonnées que les cultures retrouvèrent leur place dans l'histoire.
Dans les années 1920, commença la colonisation de Misiones, le Gouvernement National adjugea des parcelles de terre aux colons européens,  à la condition qu'une partie de celles-ci soient plantées en plantations de yerba mate. (15)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Actualmente la provincia de Misiones aporta el 90% de la producción de yerba mate, con un total de 170.909,48 de hectáreas cultivadas, donde en la verde flora misionera, descansan las cosechas que luego viajarán por el mundo, siendo Siria el mayor importador.
El tercer elemento, la bombilla, también de procedencia guaraní, era elaborada con un tubo hecho de caña, posteriormente se fueron fabricando de metal, como oro y plata como así también de otros elementos, la cual absorbe el agua que está en contacto con la yerba mate.
El mate ha sido, es y será fuente de inspiración para muchos artistas incluyéndolo en sus obras y al incluirlo en sus obras, los artistas lo ven dentro de la cultura como elemento importante de ésta. Subsiste una fauna variada de materos, cada uno a sus horas y cada uno con sus razones, por lo tanto es evidente que el mate ocupa un lugar en la vida de cada individuo y si el individuo es integrante de la cultura, el mate sin lugar a dudas también lo es. 
Nuestra costumbre de tomar mate es mucho más que tomar una bebida sana y con historia, es un gesto, cortesía, comunicación entre los hombres, el mate iguala a todos en una ronda, da el tiempo para hablar y sobre todo, el respiro para escuchar.
Por los fundamentos acá expuesto, solicito a mis pares la aprobación del presente Proyecto de Ley.
Julia Perié

Actuellement, la Province de Misiones contribue pour 90% à la production [nationale] de yerba mate, avec un total de 170 909,48 hectares cultivés, où dans la verte flore des Missions reposent les récoltes qui ensuite voyageront dans le monde, sachant que la Syrie est le plus grand importateur.
Le troisième élément, la bombilla, elle aussi de provenance guaranie, était élaborée à partir d'une canule en canne, par la suite on les fabriqua en métaux, comme l'or et l'argent, tout comme d'autres matériaux, [bombilla] qui permet d'absorber l'eau mise en contact avec la yerba mate.
Le mate a été, est et sera une source d'inspiration pour de nombreux artistes qui l'intègrent dans leurs œuvres. Les artistes le voient comme une partie intégrante de la culture, comme une élément important de cette dernière. Il y a toute une tribu diversifiée d'amateurs de mate, chacun avec ses horaires, chacun avec ses motifs, et pour cette raison, il est évident que le mate occupe une place dans la vie de chaque individu. Et si l'individu est un membre de la culture, le mate, sans l'ombre d'un doute, l'est lui aussi.
Notre habitude de boire le mate, c'est beaucoup plus que boire une boisson bonne pour la santé et porteuse d'une histoire, c'est un geste, c'est de la courtoisie, c'est de la communication entre les hommes. Tous en cercle, le mate fait de nous des égaux, il nous offre le temps de nous parler et surtout une pause pour nous écouter.
Pour les attendus ici exposés, je sollicite de mes pairs l'approbation de la présente proposition de loi.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Symbole ordinaire du mate :
le récipient, ici de belle taille et reposant sur un pied en fil métalique, passe de main en main.
On appelle ce symboles manos materas...
Image extraite du site de Iguazu Noticias.

Pour aller plus loin :
Lire le papier et écouter l'interview de Julia Perié sur AMProvincia, radio de la Provincia de Buenos Aires, à l'occasion de son intervention dans l'hémicycle.
Lire la page consacrée à Andresito Guacurarí Artigas sur le site de la Province de Misiones.

Dans la Colonne de droite, dans la rubrique Les commerçants du Barrio de Tango, vous trouverez une boutique en ligne de yerba mate, importatrice en France de la plupart des marques argentines, à des prix très raisonnables.
Ajout du 17 décembre 2015 :
Si vous souhaitez acheter de la yerbe mate pour confectionner la boisson sud-américaine, je vous conseille fermement de ne pas acheter ce que nos chaînes de magasins bio, comme Bioscoop, Naturalia ou Carrefour Bio (quelles que soient leurs qualités pour le reste), vendent sous des marques non argentines mais sous le nom de mate et à des prix prohibitifs. La plante n'est pas du tout préparée comme il convient et ne donne pas du tout la même boisson. Fiez-vous aux marques argentines qui trouvent un débouché sur le marché européen : Cruz de Malta, Taragüi, La Tranquera, La Merced. Les paquets portent la mention Industria Argentina et le timbre fiscal bleu qui atteste le respect des normes argentines.


(1) En Argentine, on ne distingue pas comme en France le document qui vient du gouvernement (projet de loi) de celui qui vient du législateur (proposition de loi).
(2) Il y a eu un changement de date lors de l'examen du projet.
(3) En France, on parlerait ici du Gouvernement de la République.
(4) Cebar el mate : ici, traduire, c'est vraiment trahir. L'expression n'a aucune équivalence en aucune langue. Cebar el mate, c'est un rite aussi important que celui de la cérémonie du thé au Japon, à ceci près que cebar el mate est une tradition paysanne alors que la cérémonie du thé a une origine nettement plus aristocratique et religieuse. J'ai expliqué dans un article précédent comment on prépare le mate (voir mon article du 20 octobre 2012 dans le cadre de la Semaine du Goût 2012).
(5) Les codes du mate sont comme ceux des fleurs en Europe : selon la façon dont on présente le mate aux commensaux, on peut lancer des messages amicaux voire plus si affinités et parfois même des messages inamicaux (mais là, c'est devenu rare. Pour avoir quelqu'un qu'on ne peut pas souffrir dans une rueda de mate et le lui signifier par la façon dont on lui tend le mate, aujourd'hui il faut le vouloir. On dispose de tant d'autres moyens de faire savoir à quelqu'un qu'on est fâché avec lui).
(6) Voir mon article du 20 octobre 2012 ou la rubrique Trousse lexicale d'urgence que ces mots rejoignent aujourd'hui même, dans la Colonne de droite.
(7) Quel raccourci historique et bien nationaliste avec ça ! Le vice-royaume du Río de la Plata n'a été institué qu'en 1776, c'est-à-dire très longtemps après l'arrivée des Espagnols, des Portugais et des jésuites sur le continent. Il procédait d'une scission du vice-royaume du Pérou et d'une réorganisation administrative de tout le sud de l'Amérique australe. Les Argentins, qu'ils soient de droite ou de gauche, aiment dire, et c'est faux, que leur pays correspond à l'ancien vice-royaume du Río de la Plata, ce qui leur permet d'annexer -ni vu ni connu- l'Uruguay, le Paraguay et la Bolivie, territoires sur lesquels la Buenos Aires révolutionnaire issue du Cabildo Abierto du 22 mai 1810 et de la Révolution du 25 mai 1810 aurait bien posé sa grosse mimine mais ils ont fait sécession pour l'en empêcher...
(8) L'art et la manière de récupérer le discours écolo ! C'est que la yerba mate bio (yerba orgánica) se vend beaucoup plus cher que la yerba mate issue des plantations ordinaires. Mais appeler les jésuites à la rescousse, quelle entourloupe oratoire ! Comme s'il existait d'autres formes d'agriculture au 17ème siècle...
(9) En arrosant (cebar) la yerba avec de l'eau frémissante, à 70 ou 80°, un peu en-dessous du point d'ébullition. Alors que les Indiens avaient toujours utilisé des liquides à température ambiante.
(10) Dans laquelle se trouve Yapeyú, la ville natale de José de San Martín, détruite en 1817 par une razzia brésilienne et reconstruite plusieurs décennies plus tard un peu plus loin.
(11) Reducciones : terme peu employé en Argentine mais très employé pour les missions des franciscains au Mexique. En fait, les plantations étaient développées à l'intérieur des terres concédées par le roi d'Espagne à la Compagnie de Jésus pour y accueillir les Indiens et pouvoir les inviter à la conversion en les préservant des esclavagistes du Portugal qui n'avait pas accepté les conclusions de la Controverse de Valladolid interdisant au roi d'Espagne, qui avait sollicité l'arbitrage papal sur cette question, de réduire les Indiens à l'esclavage. Les Missions étaient donc un sanctuaire où les Indiens pouvaient se réfugier et vivre en hommes libres, dans des théocraties conduites par les jésuites, placée résolument hors administration coloniale, alors que, en terre royale, leurs pareils vivaient dans le servage, attachés à la terre qu'ils n'avaient pas le droit de quitter et qu'ils étaient contraints de cultiver sous le régime de la corvée et de l'impôt en nature. On ne sait rien de la religion guaranie, sinon quelques noms de déités et quelques coutumes fort obscures, car elle ne donnait lieu à aucun rite collectif identifiable ni à aucun discours sur le contenu des croyances. Il semblerait que la conversion au catholicisme se soit faite sans heurt, sous la forme d'un syncrétisme qui reste très mystérieux pour les anthropologues, et on sait que les jésuites eux-mêmes furent quelque peu surpris de la fluidité avec laquelle ces populations pré-colombiennes se sont glissées dans les pratiques catholiques, aussi structurées et extériorisées que la religion d'origine était invisible. Il est vrai que les jésuites surent utiliser l'art (peinture, sculpture, musique) comme outil d'évangélisation en permettant aux Guaranis de conserver ainsi leur tradition qui fusionna avec les expressions du baroque européen en un style métissé qu'on appelle guaranítico et que l'on trouve notamment dans l'église San Ignacio dans le quartier de Monserrat, à Buenos Aires et dans une salle du Museo de Arte Hispanoamericano Isaac Fernández Blanco, au palacio Noël, dans le quartier de Recoleta. Dans les Provinces de Misiones et de Corrientes, il en reste peu de traces car après l'expulsion des jésuites, l'administration coloniale s'est acharnée à tout détruire, n'hésitant pas à s'en prendre mêmes aux églises tant la Compagnie de Jésus apparaissait comme menaçante pour l'ordre établi, à cause de sa popularité et de la prospérité à laquelle elle avait conduit ces territoires.
(12) Le changement de situation n'a pas été aussi simpliste que cela. On a continué à produire de la yerba en grande quantité dans des plantations existantes mais qui déclinèrent très vite, davantage à cause du vandalisme des colons espagnols et de l'administration royale et du fait du vieillissement des arbustes qu'à cause de la disparition des élevages de toucans et de la perte du savoir technique (les cultivateurs indiens n'étaient pas idiots, ils avaient des yeux pour observer comme n'importe qui d'autre et comprendre quel rôle les oiseaux jouaient dans le processus).
(13) Faux. Les premières études scientifiques, on les doit nécessairement aux jésuites. Sinon ils n'auraient jamais compris le coup du toucan et de son estomac miraculeux ! Mais c'est difficile pour les péronistes d'admettre que l'Eglise, même si c'est les jésuites qui gardent une excellente réputation, ait eu un jour quelconque dans l'histoire une attitude scientifique. Et pourtant !
(14) La forêt en question, c'était les plantations dévastées par la reconquête de la région par l'administration laïque royale et que les paysans avaient fuies pour éviter d'être asservis comme le reste de leurs semblables partout dans l'empire colonial espagnol. Abandonnées, elles avaient retrouvé la densité de jungle que le climat chaud et humide favorise. D'où cette idée que l'Indien guarani vit dans la jungle. Il serait plus juste de dire qu'il s'y cache ! Encore aujourd'hui malheureusement, même si c'est pour des raisons différentes.
(15) Il est étonnant de constater comment ce discours s'ouvre sur une quasi-revendication de la culture guaranie et comment, au fil du texte, l'oratrice les abandonne à leur sort historique et à l'indifférence dans laquelle la majorité des Argentins les a enfermés une fois pour toutes. Sauf à les ressortir pour faire vendre du papier en prétendant, contre toute évidence, que San Martín était le fils d'une Indienne. Vous avez remarqué qu'on parle d'une décision légitime la décision de céder les parcelles à des Européens et non aux Indiens vivant dans la zone depuis des siècles... Ce discours au sujet apparemment anodin reste donc historiquement et politiquement très contestable, mais sans doute y a-t-il parmi les députés beaucoup d'élus, représentant d'autres provinces du pays, qui ne supporteraient pas un discours plus exact, surtout sur une coutume aussi identitaire que le mate. On voit qu'en Argentine le processus de constitution de l'identité nationale a encore besoin des clichés, des images d'Epinal et du mensonge, par action et par omission, dans le discours mémoriel.