lundi 8 octobre 2012

Buenos Aires, le roman national argentin et la culture populaire, jours 6 et 7 [Agenda de Barrio de Tango]



Suite de ma série d'articles sur le programme du séjour culturel que j'ai conçu en partenariat avec des professionnels du voyage et que j'accompagnerai à Buenos Aires d'ici quelques mois.

Le lundi 24 septembre, je vous donnai le programme des jours 2 et 3 : la Révolution de 1810, avec Plaza de Mayo et ce qui s'y rattache, puis le lendemain, la Buenos Aires coloniale, moins connue mais tout aussi dépaysante (le jour 1, c'est le vol lui-même, le 11 mai 2013).
Le lundi 1er octobre, je complétai avec le programme des jours 5et 6 : le Général San Martín, grand héros de l'indépendance, et une excursion à Luján, cité rurale de la pampa avec sa basilique rose, sa Vierge nationale et ses bords du Luján qui nous évoquent les impressionnistes des bords de Marne...
Le 18 septembre dernier, je vous avais fait un rapport d'ensemble sur tout le programme.
Vous pouvez accéder à la série d'articles en cliquant sur le mot-clé Viaje dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus.

Aujourd'hui, nous continuons le fil de l'histoire nationale avec deux époques du 19ème siècle qui ont façonné successivement deux quartiers nord...

Nous abordons ainsi le quartier Palermo, surgi après 1852 pour avoir constitué, dans les années précédentes, l'immense propriété privée de Juan Manuel de Rosas, gouverneur de la Province de Buenos Aires depuis 1835 jusqu'au 3 février 1852, où il fut défait militairement. Vae victis (1) : sa propriété fut aussitôt confisquée et démantelée et elle se transforma peu à peu, de 1852 à 1880, en un quartier périphérique, par conséquent d'abord populaire puis de plus en plus chic, au fur et à mesure qu'on y créa de grands espaces verts qui font encore aujourd'hui les délices des Portègnes (on les voit s'y prélasser par beau temps, quand il ne fait pas trop chaud. Par grosses chaleurs, ils restent à l'abri, autant que possible protégés par la climatisation).

On ouvrira la journée, après le petit-déjeuner, avec l'histoire de ce quartier. Je vous la raconterai dans la salle de conférence que l'hôtel mettra à la disposition de notre groupe.
Nous partirons ensuite visiter le quartier, dont nous aurons déjà vu une petite partie le 14 mai (c'est à Palermo en effet que se trouve le Musée du Régiment des Grenadiers à cheval, qui conserve une bonne partie des reliques de San Martín). J'ai prévu de vous emmener au MALBA, le grand musée d'art contemporain de Buenos Aires, somptueux et lumineux bâtiment abritant un centre culturel complet ou presque, avec expositions permanente et temporaires d'artistes argentins et sud-américains que l'on voit rarement à jamais sous nos latitudes, cinéma, café-restaurant et librairie.
Un cadre exceptionnel, à connaître impérativement.
Dans la suite de l'après-midi, vous disposerez de toute liberté pour visiter ce gigantesque quartier en fonction de vos préférences personnelles : il y a l'embarras du choix en matière de musées (je vous fournirai la liste !) et d'espaces verts, qui, à eux seuls, valent le détour (Parque del 3 de Febrero, Jardín Botánico, jardin zoologique...). Qui plus est, c'est à un Français, Carlos Thays, que l'on doit la plupart de ces parcs et jardins qui font la réputation de Palermo. C'est dans cette partie que l'on trouve le Jardín Japonés, offert à Buenos Aires par la communauté nippone reconnaissante du bon accueil que les Argentins lui avaient fait à une époque où le Japon était une terre d'émigration, le Planetarium Galileo Galilei, les vestiges (tout récemment trouvés) du fameux Café de Hansen (voir mon article du 27 décembre 2008 sur ce sujet), un des berceaux présumés du tango (à en croire surtout Jorge Luis Borges, qui traite l'histoire nationale avec la liberté que lui permet son génie littéraire).
C'est là aussi qu'on trouvait, de 1910 à 1920, le restaurant El Armenonville (2), où Carlos Gardel commença d'être célèbre et où il créa sa version de Mi noche triste (3), le premier tango qu'il chanta, sans doute en décembre 1916 (4).
C'est le quartier qu'a chanté le poète Evaristo Carriego (1883-1912) et celui où est né Jorge Luis Borges (sa maison natale est l'un des nombreux musées du quartier).
C'est aussi et enfin le quartier de l'hippodrome argentin, du terrain de polo, du vélodrome, du golf, du Tennis Club et il est si vaste qu'on y a même construit l'aéroport domestique (Aeroparque Jorge Newberry).

En fonction de ce qu'il y aura à l'affiche ce soir-là, nous nous retrouverons, de préférence dans le quartier de Palermo, pour une soirée musicale, avec une restauration sur place (ou avant et ailleurs si vous préférez). A des horaires traditionnels portègnes, c'est-à-dire vers 22h (le show, comme disent les Argentins, est compris dans le prix global)..

A noter :
Palermo a inspiré de très nombreux tangos. En voici quelques uns que je vous invite à écouter, chacun dans la version proposée par Todo Tango, l'encyclopédie spécialisée argentine sur le Web :
Palermo, chanté ici par Gardel, accompagné par deux de ses plus célèbres guitaristes, José María Aguilar et Guillermo Barbieri (5)
Armenonville, un instrumental de Juan Maglio (sans date de création mais enregistré en 1929)
Juan Manuel de Rosas, comme je l'ai montré dans Barrio de Tango (ed. du Jasmin), a lui aussi inspiré une grande quantité de tangos, de valses, de candombes et de milongas...
Parmi eux, La Mazorquera de Monserrat (ici chanté par Carlos Vidal en 1947, en pleine ère péroniste), tango créé par Ignacio Corsini, dans ce qu'on appelle el ciclo federal, série de pièces en l'honneur de Rosas et du souvenir mythique que sa politique a laissé dans la mémoire populaire (6), composées et enregistrées en 1929, sous la seconde présidence de Hipólito Yrigoyen, petit-fils d'un mazorquero, exécuté pendant l'épuration sanglante qui suivit la défaite de 1852.


Le lendemain, nous passerons au second des beaux quartiers emblématiques, celui de la Recoleta (7).
Même schéma que la veille.
Conférence après le petit-déjeuner sur l'histoire du quartier, établi autour de ce qui fut un domaine conventuel (le couvent des Récolets). Une fois le couvent désaffecté pendant l'époque révolutionnaire, la zone commença peu à peu à se transformer... Elle accueillit d'abord le premier cimetière public de Buenos Aires, en 1822 (avant, on enterrait dans les églises et les couvents). Cet ancien potager-verger conventuel est devenu le très célèbre et très chic cimetière de la Recoleta, qui est à Buenos Aires ce que le Père Lachaise est à Paris. Par la suite, peu à peu, la zone se couvrit de quintas et autres chacras, ou résidences de campagne de la belle société. Jusqu'en 1871 où une terrible épidémie de fièvre jaune s'abattit sur la ville de Buenos Aires. Cet été-là, on vit toutes les grandes familles abandonner leurs belles et fastueuses maisons de San Telmo pour aller habiter les chacras du nord de la ville, jugé plus sain et mieux aéré, ce qui changea radicalement et définitivement la géographie sociale et la physionomie architecturale de la capitale argentine, les chacras faisant place peu à peu à des demeures plus confortables (la chacra, c'était le cabanon du dimanche, pas une villa pour vivre tous les jours).

Comme Palermo mais sur un territoire beaucoup plus restreint, La Recoleta regorge de musées, de places, de statues et de souvenirs historiques...
Nous tâcherons d'y faire un parcours cohérent en commençant sans doute par le musée national des Beaux-Arts, avec ses collections patiemment constituées pour lui par de riches patriciens au goût très solide. Contrairement à ce qui s'est passé en Europe, au British Museum, au Louvre ou à l'Hermitage de San Petersbourg, les Argentins n'ont pas pu confisquer les collections rassemblées par leurs rois ou leurs grands seigneurs féodaux qui n'ont jamais existé. Ils n'ont pas non plus pu piller leurs colonies. Au contraire, leurs propres documents se retrouvent dans nos propres musées, au British Museum, au Prado, au Vatican... Ce sont donc des particuliers, très argentés, qui ont joué le rôle de mécène en adoptant des conduites de ministre de la culture, poste qui n'existait pas encore, selon une longue tradition d'une forme de civisme inaugurée par des gens comme Manuel Belgrano ou José de San Martín qui fondèrent des écoles et des bibliothèques. C'est ce processus que nous raconteront ces salles, admirablement bien muséographiées.

En sortant, nous ferons un petit crochet pour nous arrêter sous les arbres majestueux de Plaza Francia (c'est un must).
Nous visiterons ensuite la zone centrale du quartier, qui abrite le cimetière (innombrables tombes de célébrités (8) et surtout de personnalités politiques), l'église Nuestra Señora del Pilar, qui, avec sa façade coloniale, reste l'unique vestige de l'antique couvent, et en contrebas la place dédiée au général Alvear, héros de la Révolution, maladivement jaloux de la gloire de son compagnon d'armes, José de San Martín (ça se voit dans le monument, signé Antoine Bourdelle !), et fondateur -posthume- d'une famille patricienne, qui est un peu à l'Argentine ce que les Kennedy sont aux Etats-Unis car elle compta,outre son indispensable héros révolutionnaire, un maire de Buenos Aires et un président de la Nation. Elle a en profité pour s'adjuger une bonne partie du quartier avec une mégalomanie dont vous n'aurez pas de mal à détecter les signes...
Puis nous descendrons vers le fleuve jusqu'au musée d'art hispano-américain Isaac Fernández Blanco, un musée réparti sur plusieurs adresses à Buenos Aires. Nous visiterons l'exposition permanente, installée dans le très beau Palacio Noel de la rue Suipacha (photo ci-dessus). Cette exposition, en quelques pièces bien agencées sur deux étages, reflète, grâce à sa collection d'oeuvres d'art coloniale des 17ème et 18ème siècles, la grande variété des styles et des influences géographiques qui ont façonné l'Argentine dès le début de la colonisation. A tomber par terre !

Après cette journée bien remplie, vous aurez quartier libre le soir.
Jacuzzi ou piscine au dernier étage de l'hôtel ou milonga quelque part en ville. Comme vous voulez...

Suite du voyage la semaine prochaine, ou directement auprès d'Intermèdes, qui vous fera parvenir le programme complet sur demande.

Pour aller plus loin :

(1) Malheur au vaincu (c'est du latin).
(2) Les Argentins parlent souvent de l'Armenonville largement au-delà de ces dates mais le restaurant avait changé de nom après 1920, en changeant de propriétaire. Aujourd'hui en revanche, lorsqu'un établissement a gagné une certaine réputation, comme Las Violetas ou El Viejo Almacen, il peut changer de mains autant qu'il veut, il garde son nom.
(3) Mi noche triste est présenté, dans le texte original de Pascual Contursi et en traduction française, dans Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins, Editions du Jasmin, mai 2010, p 18. Il marque symboliquement la naissance du tango-canción, ce que nous pourrions traduire en français par tango à texte. Avant cette date, Carlos Gardel chantait exclusivement du folclore, musique des zones rurales, notamment la musique de la pampa, parce que le répertoire chanté du tango relevait encore de la salle de garde, or il avait trop bon goût pour s'y frotter et l'imposer au public huppé de l'Armenonville.... Le letrista de tango, Francisco García Jímenez, dans son essai Así nacieron los tangos, donne d'autres dates (un an plus tard), un autre lieu et d'autres circonstances (Así nacieron los tangos, ed. Corregidor, 2ème édition, Buenos Aires, 2006).
(4) La date exacte n'est pas connue, mais on sait que le succès fut tel qu'il dût bien vite l'enregistrer. Or l'enregistrement date du début 1917. C'est le tango qui fit basculer la carrière de Carlos Gardel, qui devint, en l'espace de six mois, chanteur de tango, le premier de l'histoire.
(5) Palermo, in Barrio de Tango (ouvrage cité), p 80.
(6) Un souvenir très ambigu, car Rosas fut certes populaire mais il fut aussi un terrible despote, notamment à cause de cette garde prétorienne qu'était la Mazorca. Parce qu'il mit à l'honneur l'expression culturelle du peuple et notamment celle des noirs, dans une moindre mesure celle de certaines ethnies indiennes, il fut haï par l'oligarchie comme peu d'hommes politiques ont été haïs par elle. Ce qui explique que Sarmiento (1811-1888) fit détuire tout ce qui restait de lui dans Palermo pour y établir le Parque del 3 de febrero, baptisé d'après la date de la défaite de Rosas en 1852. Il avait la rancune tenace.
(7) Contrairement à Palermo, Recoleta a peu inspiré les letristas de tango. Mais l'un d'eux a relevé le défi. Toujours le même. Horacio Ferrer, qui y a passé enfant toutes ses vacances, dans sa famille maternelle, descendante de l'épouse de Rosas. J'ai traduit ce tango, intitulé Recoleta, un hommage facétieux à ce quartier, dans un cahier de 15 pages, revue Triages, n°20, juin 2008, Tarabuste Editions (rue du Fort, 36170 Saint-Benoît du Sault).
(8) dont l'épouse de San Martín, Remedios de Escalada, et les parents de celui-ci, exhumés d'Espagne pour être honorés dans un premier temps à Yapeyú, la ville natale de leur fils José, puis à Buenos Aires, où ils reposent tout près de leur bru, qu'ils n'ont pas connue. Ces deux très modestes monuments sont à deux pas du gigantesque mausolée du général Alvear. Ajout du 25 octobre 2012 : voir mon article de présentation sur la biographie que j'ai consacrée au général San Martín et qui sort en décembre 2012 aux Editions du Jasmin.