mercredi 12 septembre 2012

Adieu à Chilo Tulissi



L'artiste peintre Chilo Tulissi, qui n'était pas seulement un grand artiste, qui était avant tout un homme passionnant, et un puits de science, en matière de tango et pas uniquement de peinture, nous a quittés hier matin, à Buenos Aires, où il avait été hospitalisé il y a dix jours en phase finale d'un cancer du fumeur. Du passé italien d'un arrière-grand-père monté par hasard dans un bateau pour fuir une vendetta au sud de la Botte, il n'avait pour toute trace matérielle qu'une pipe, qu'il m'avait montrée dès notre première rencontre en 2007.

De lui, je garderai des montagnes de souvenirs et en particulier cette visite du museo de Bellas Artes de la Boca Benito Quinquela Martín, cette virée en voiture dans les quartiers sud de la ville où j'ai pris la photo qui sert d'enseigne et d'emblème à ce blog, cette soirée chez lui avec un locro monstre qu'il avait mis deux jours à préparer, ces ruedas de mate que nous avons partagées en devisant tous les trois avec Teresa sa femme, cette autre promenade il y a trois ans, à la Réserve Ecologique, sous un ciel bas, le long d'un fleuve gris...

Pour moi, Chilo était un ami précieux. Il laisse derrière lui une famille durement éprouvée, sa femme à qui j'ai pu parler ce matin, avant les funérailles qui ont lieu au moment où je publie, une mère très âgée que je ne connais pas, un fils et une fille et un gendre bandonéoniste avec lequel il avait une belle complicité masculine et artistique, Julio Coviello, le premier bando de la Fernández Fierro et le directeur du Cuarteto qui porte son nom.

Julio devait se produire au Faro vendredi prochain, après-demain, dans le cadre de El Tango vuelve al Barrio, une soirée dont je n'avais pas encore parlé, en ce douloureux retour de Buenos Aires.

Le Chilo que j'ai vu cette année à la mi-août ne m'avait pas fait l'effet d'un mourant. Je savais sa maladie depuis une quinzaine de jours et il n'allait pas bien mais il parlait avec la même fougue que d'ordinaire et le même air un peu bougon que vous lui voyez sur cette photo prise en août 2007 à Nueva Pompeya et sous lequel il cachait sa sensibilité extrême. Avec ses tempes à peine émaciées, il avait bon espoir de retrouver la santé. Si bien qu'il m'avait donné le change malgré tout ce que je savais et aurais pu deviner et que je l'avais quitté persuadée de le revoir encore avant mon départ. Espoir qui s'est envolé aux premiers jours de ce mois. Pour une fois, dans cette salle à manger aux murs couverts de tableaux, nous avions surtout parlé de San Martín plutôt que de Homero Manzi et Enrique Santos Discépolo, ses deux sujets favoris avec moi. Je l'ai vu touché que mon intérêt pour sa culture aille jusqu'à ces sujets historiques. Je l'ai vu découvrir quelques textes de San Martín que j'avais rassemblés pour les besoins de mon travail et qu'il ignorait et je l'ai vu apprécier du fond du cœur ces traces de profonde humanité que je lui apportais, d'un pays aussi improbable que la France, au sujet d'un héros de son propre pays, que l'histoire officielle avait défiguré et dénaturé pendant plus d'un siècle. Lui voulait nettoyer l'Argentine de tous les oripeaux dont elle avait été recouverte à la fin du 19ème siècle, il en vomissait les responsables, Rivadavia, Sarmiento et Roca, les hommes de cette partie de l'oligarchie qui n'avait cessé d'opprimer un peuple qu'il aimait de toutes ses forces. Né le 31 décembre 1947, il est mort en ce début du printemps et à l'aube de la fête du maître d'école (día del Maestro), qui n'est autre pourtant que le jour anniversaire de la mort de Sarmiento !

Teresa, tout à l'heure, m'a demandé de lui écrire un beau texte sur Barrio de Tango. Mais c'est elle qui a rédigé hier soir le plus délicat et le plus juste des hommages qu'on peut lui rendre. Le voici :

Madrugando, pa' no perder la costumbre, y en el día del Maestro, Chilo Tulissi partió a pintar otros horizontes...
Este tipo no pasó por el mundo así no más, dejó huellas, y si alguno todavía tiene alguna duda pregúnteselo a cualquiera de sus amigo/as (miles, por cierto)
Ahora nos queda mirar el cielo, que allí debe haber fiesta de colores...

Mañana, miércoles 12 de Septiembre a las 9hs. estaremos en la Capilla de la Chacarita, despidiendo sus restos.
Teresa de Tulissi

Dès potron-minet, pour ne pas manquer à ses habitudes, et en cette fête du Maître, Chilo Tulissi est parti peindre d'autres horizons...
Ce bonhomme n'est pas passé dans le monde, comme ça, à la légère, il a laissé des empreintes et si quelqu'un a encore le moindre doute là-dessus, qu'il pose la question à n'importe lequel de ses ami(e)s (des milliers, c'est sûr).
Maintenant il nous reste à regarder le ciel, car là-haut il doit y avoir une fête en couleurs...

Demain, mercredi 12 septembre, à 9h, nous serons à la Chapelle de la Chacarita pour saluer ses restes une dernière fois.
(Traduction Denise Anne Clavilier)