samedi 6 février 2010

Buenos Aires suspend ses paiements aux écrivains qu'elle a primés [Actu]

C’est une information révélée par Página/12, quotidien de gauche hyper-opposant à Mauricio Macri et au gouvernement de la Ville autonome de Buenos Aires qu’il préside : les écrivains, qui ont reçu le Prix municipal (Premio municipal), ont constaté que la rente de janvier ne leur avait pas été versée, or le Premio Municipal consiste en une rente mensuelle à vie qui permet à l’écrivain, qu’il soit romancier, dramaturge ou poète, dont le talent est ainsi reconnu, de pouvoir vivre de sa plume. Des gens comme Jorge Luis Borges, Bioy Casares ou la poètesse Alfonsina Storni ont été parmi les récipiendaires de ce prix. Aujourd'hui l'historien et poète Horacio Salas, bien connu des amoureux du tango francophones pour son livre, Le Tango, qui a été traduit dans notre langue.

Cette somme de 2 556,66 pesos par mois est normalement versée par un service comptable chargé de toutes les liquidations salariales au sein du Gouvernement portègne. Or à la suite d’une réorganisation interne, dont personne à l’extérieur n’a été averti et peut-être fort peu de monde au sein même des services, il semblerait que le versement de ces rentes soit désormais du ressort de la Comptabilité Générale et du Ministère de la Culture. Les agents publics eux-mêmes ne sont pas au courant et ce sont les artistes, qui s’inquiètent auprès d’eux par téléphone, qui apprennent aux employés municipaux la suspension du paiement de janvier.
Ce n’est pas la première fois que des artistes subissent de plein fouet les effets de la politique à la hache de Mauricio Macri. Souvenez-vous : l’année dernière, presque à la même époque, le poète Héctor Negro avait envoyé une lettre ouverte au Ministre de l’Education d’alors après avoir été écarté fort malproprement d’un poste d’enseignant dans un centre culturel municipal. Je vous renvoie aux arguments qu’il avait alors développés dans cette déclaration (lire mon article du 18 mars 2009) : ils ont conservé toute leur validité cette année, pour cette nouvelle offense faite aux acteurs de la culture et aux intellectuels de la capitale argentine. Il y avait aussi eu, auparavant, la suppression des aides financières aux petits éditeurs, qui comptaient sur ces subsides pour être présents sur le Salon du Livre de Francfort dont l’Argentine sera cette année l’invitée d’honneur à l’occasion du Bicentenaire (lire mon article du 31 décembre 2008).

Normalement, le changement de portage de la rente du Premio Municipal, fondé en 1920, devrait aboutir à un retard d’une vingtaine de jours de la liquidation des sommes dues pour janvier (c’est-à-dire que la rente serait payée vers le 15 ou le 20 février). Ce qui n’aurait pas été si dramatique pour les bénéficiaires si ceux-ci en avaient été informés au préalable, de façon à prendre leurs dispositions. Mais même les fonctionnaires n’ont pas été tenus au courant des modalités ni du calendrier de ces changements. On est en pleines vacances d’été et c’est un bazar sans nom... Dans son article, Página/12 reprend les propos du Directeur du service Concours et Prix, dépendant de la Direction de la Promotion culturelle de la Ville : il déclare, presque candidement, son impuissance puisque lui-même n’a été informé du nouveau portage que lundi dernier, 1er février...

Il faut lire l’article du quotidien d'hier pour prendre la mesure de la colère des artistes et des intellectuels devant cette mesure qui porte préjudice une nouvelle fois au secteur socioculturel, déjà très attaqué par les baisses budgétaires à l’école (souvenez-vous de la querelle des fournitures scolaires gratuites l’année dernière, en octobre 2008), dans les centres culturels et les hôpitaux. Dans l’article, l’écrivain Juan Martini va jusqu’à accuser Macri, qu’il assimile à Berlusconi (et ce n’est pas flatteur), de fermer les hôpitaux psychiatriques pour livrer ensuite les terrains ainsi libérés à une promotion immobilière débridée et de concentrer ses forces sur la délivrance d’amendes à tout va aux contrevenants routiers tout en persécutant les sans-abris qu’il oblige, par la force et la violence d’une milice privée, à quitter le territoire municipal (1).

Encore un motif qui vient nourrir le contentieux déjà bien gras entre le monde artistique et culturel et ce gouvernement ultra-libéral, conduit par un chef d’entreprise richissime qui se verrait bien à la Casa Rosada en 2012 (voir mon article du 2 février 2010 sur sa première déclaration de pré-candidature toute récente).
Pour aller plus loin :
En espagnol : lire l’article de Página/12 (dont le titre pourrait se traduire : Ce n’est pas un pécule pour écoliers méritants).
En français : lire mes articles sur la politique conduite par Mauricio Macri en cliquant sur le mot-clé GCBA (Gobierno de la Ciudad de Buenos Aires), dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus (sous le titre du présent article) et sur les mots-clés secondaires que vous découvrirez au fil de la lecture comme Ecole (tout le conflit social scolaire) ou Posse (nom de l’éphémère Ministre de l’Education portègne dont la nomination à soulever juste avant Noël un immense scandale : l’homme s’en est pris à toute la gauche artistique tout en prônant les valeurs qui avaient été défendues par les gouvernements anticonstitutionnels de la Junte militaire).

(1) Les sans-abris se réfugient donc dans la Province de Buenos Aires, qui est gouvernée par les péronistes et qui a bien du mal à faire face à l’arrivée massives de tant de défavorisés.