dimanche 27 septembre 2009

Quand on se promène au bord de l’eau... [Coutumes]

Avec tous mes remerciements à Luis, Vicky et Virginia...

C’est avec cette chanson française très connue, écrite par Julien Duvivier et composée par Maurice Yvain, pour le personnage joué par Jean Gabin dans La Belle Equipe, en 1936 (1), que je vous emmène -enfin !- faire une balade au bord du Luján et du Tigre, dans ma série des Dimanches à Buenos Aires, inaugurée l’année dernière avec plusieurs articles (le 3 août, le 11 août et le 18 août 2009). Série qui n’aura malheureusement cette année qu’une seule entrée, celle-ci, pour toutes les raisons que j’ai exposées au long de mes articles du mois d’août dernier.
Et encore, celle-ci a bien failli, elle aussi, passer à la trappe ! Des amis m’avait proposé cette excursion pour le 30 août mais deux jours avant, à ma plus grande consternation, tout a été annulé. Après, il a fallu un incroyable concours de circonstances et d’avatars, tous plus invraisemblables les uns que les autres tout au long du week-end, et la sollicitude, la délicatesse, la générosité et l’amour de la culture des amis chez qui je déjeunais ce vendredi (un grand merci à Virginia, au passage) pour que l’excursion s’improvise tout de même ce dimanche, d’une manière bien différente, à l’initiative cette fois-ci d’un poète. Et quel poète ! (3)
Ami de Enrique Cadícamo, Troesma de los Troesmas, qu’il accompagnait lorsque la ville de Luján a fait apposer sur une arcade de la galerie de la Basilique (Vieja recova, ici dans un enregistrement de Juan D'Arienzo avec le chanteur Juan Carlos Lamas, en 1942, grâce à Todo Tango) une plaque en l’honneur de l’enfant du pays (Cadícamo était né à General Rodríguez, le 15 juillet 1900, un hameau alors, donc sans registre d’état-civil, c’est donc à Luján, la bourgade voisine, que son père a dû aller déclarer sa naissance).

Auteur d’une très belle hymne à la Vierge de Luján que je connais bien.

Et propriétaire d’une superbe représentation de cette Vierge, un cadeau de mariage que lui avait fait le Maestro fileteador Carlos Carboni en 1984...

Aujourd’hui, Luján n’est plus la bourgade qui vit naître Cadícamo. C’est une petite ville de 68 000 habitants (voir les chiffres de Buenos Aires dans la partie médiane de la Colonne de droite). A 67 km de la Capitale, c’est une agglomération qui, un peu comme Chartres dans la Beauce, au sud de Paris, surgit soudain dans la plaine rurale (llanura), une plaine normalement humide mais très sèche en cette saison, un paysage à la fois herbeux et désolé, où paissent tranquillement des vaches, des chevaux et quelques moutons et où la présence humaine est très discrète... Luján abrite le plus important sanctuaire marial d’Amérique du Sud. La ville porte le nom de la rivière aux eaux limoneuses qui la traverse et appartient à un inextricable enchevêtrement de cours d’eau qui se jettent dans le Río de la Plata et participent à son gigantisme (4). La rivière et la ville portent toutes deux le nom de Pedro (ou Diego) Luján, officier espagnol qui se fit tuer à cet endroit par des Indiens, en 1536, l’année de la première fondation de Buenos Aires.

Ce dimanche-là, le 30 août, il faisait un temps magnifique et une température d’été. Le soleil tapait fort. Dans l’après-midi, le thermomètre a flirté avec les 32 ou 33 degrés. Même les Argentins avaient chaud... Sur le coup de 11 h 15, nous avons quitté le quartier de Villa Urquiza en prenant la General Paz, cette avenue aux allures de voie rapide, en fait un boulevard périphérique autoroutier (5) qui sépare Buenos Aires et la Province sur toute la limite ouest de la capitale puis donne accès à l’autoroute qui file vers la région natale de Cadícamo, au-delà du Gran Buenos Aires, la première ville de "l’Intérieur". Plein ouest.

La Basilique et moi devant, avec le soleil dans les yeux (et il tapait fort) à la demande de Luis Alposta. Je crois que c'est Luis qui a pris la photo, mais il est possible qu'en fait ce soit sa fille. Il y en a eu plusieurs, dans tous les sens, avec plusieurs appareils photos. Celle-ci a été prise avec le mien...

Une maquette de la statue de la Virgen originale. La Vierge vénérée aujourd'hui et qui est placée au dessus de l'autel majeur dans la Basilique a subi au cours des siècles plusieurs modifications. Cette maquette est exposée dans le musée de la Basilique, situé dans la crypte, et où l'on peut admirer une exposition de Vierges du monde entier, dont celle de Lourdes bien sûr. Je n'ai pas vu celle de Banneux mais il y avait plusieurs chapelles interdites au public pour travaux.

Les jardins du Cabildo avec la Basilique en arrière-plan. La chemise bleue sur le côté droit, c'est Luis Alposta.

La fameuse place en l'honneur de Enrique Cadícamo devant laquelle Luis m'a fait poser. Sous cette arcade de la galerie (recova) qui borde le parvis de la Basilique et du Cabildo, nous avons parlé à un marchand de souvenirs qui a demandé à Luis, sans savoir à qui il parlait bien sûr, s'il s'intéressait au tango. Et devant sa réponse positive, ce monsieur s'est lancé dans un éloge de Cadícamo en citant certains de ses textes, dont Madame Yvonne quand il a su que j'étais française...

Luis Alposta posant pour nous et pour lui aussi devant la brouette du Vasco de la Carretilla, un Argentin qui ralia le sud au nord de l'Argentine ou peu s'en faut, à pied, avec tout son barda dans cette brouette, dans les années 30 (Luis est né en 1937). El Vasco de la Carretilla s'appelait Guillermo Larregui et il a fait étape à Buenos Aires en 1936. Il a eu droit en son temps à la une des journaux de la capitale. Cette photo a été prise au Musée des transports, sur la grand place de la Basilique. Je vous conseille cette visite mais allez-y avec des Argentins pour sentir leur coeur vibrer devant la locomotive la Porteña, devant les chariots de l'Armée des patriotes pendant la guerre d'indépendance, devant les aéroplanes et les embarcations qui ont accompli telle et telle première traversée sur l'eau ou dans les airs. Sans eux, ce musée ne vous dira pas grand-chose car cette histoire n'est pas la nôtre. L'expérience m'a fait toucher du doigt à quel point l'histoire argentine existe et à quel point nous l'ignorons alors qu'eux connaissent si bien notre histoire (enfin, je parle là de l'histoire de France, l'histoire de la Belgique ou de la Suisse leur est aussi inconnue qu'aux Français...)


Une guinguette où nous nous sommes restaurés avec une bonne pizza, une bière et une grande bouteille de soda nord-américain...

Le bord de la rivière... en été ! Non : en hiver, mais par un temps très beau et très chaud... avec pédalo et barques à rames sur l'eau et manège de chevaux de bois sur le quai...

La fête foraine au chevet de la Basilique

Après Luján, Luis Alposta m’a proposé de rentrer par Tigre, dans le delta du Paraná, à seulement 31 km de Buenos Aires. Tigre est une petite ville très jolie, d’environ 32 000 habitants, dont les promenades au bord de l’eau sont très réputées depuis le siècle dernier. La cité doit son nom actuel (récent, en 1952 seulement) à la rivière principale qui la traverse, le Tigre, qui doit lui-même son nom aux jaguars qui y rôdaient au moment de la fondation de Buenos Aires (en voyant les fauves, les Espagnols eurent vite fait de confondre le jaguar américain avec le tigre asiatique). Le Tigre est une rivière qui se jette dans le Luján (Río Luján) (6). Le maire actuel, qui vient de retrouver ses fonctions locales, n’est autre que l’ancien Premier Ministre, Sergio Massa, débarqué du gouvernement après des élections législatives qui ont mis à mal le parti péroniste (lire mon article du 8 juillet à ce sujet). Tigre, qui est la préfecture du département homonyme (partido del Tigre), a connu, à partir des années 80, un fort développement urbanistique. Certains habitants de Buenos Aires ont commencé à quitter la capitale en quête d’un cadre de vie un peu plus tranquille, moins bruyant, moins pollué. Et dans les années 1990 est apparu le phénomène des countries, ces quartiers résidentiels privés, dûment clôturés de murs et de barbelés et surveillés par des vigiles, où vous ne pouvez pénétrer qu’en montrant patte blanche et qui sont devenus des villes dans la ville, avec supermarchés, banques, bureau de poste et écoles. Tentatives d’isolement quasi-autarcique pour gens riches ou aisés (le "pendant favorisé des villas miseria" (7) comme m’a dit Luis), les countries n’échappent cependant pas aux problèmes qui sévissent dans le reste du pays. Des cambriolages et parfois même des agressions s’y produisent aussi, au point que le Gouvernement, il y a quelques mois, a dû annoncer que la gendarmerie entrerait désormais dans ces quartiers pour assurer la sécurité des biens et des personnes. Bien entendu, les countries ne se visitent pas et ce ne sont pas eux qui font l’intérêt touristique et culturel de cette jolie ville où les deux tâches les plus ardues que nous aurons connues furent de trouver une place de stationnement puis un glacier... pour nous rafraîchir en prenant un dessert qui nous faisait défaut depuis Luján !
Le Tigre à Tigre, avec les bateaux de transport collectif qui joue dans le Delta le rôle des vaporetti à Venise...

Si vous hésitez entre Bombay, Dinard et Nice, c'est normal... Cet hôtel très célèbre a été construit pour les investisseurs anglais de la fin du 19ème siècle, quand la Grande-Bretagne rêvait de faire de l'Argentine un dominion de l'Empire et que la Generación del 80 en rêvait aussi (voir le Vademecum historique sur l'histoire des pays du Río de la Plata dans la Colonne de droite, en partie médiane, dans la rubrique Petites chronologies)

Il avait fait une grosse chaleur toute la journée. Le soir tombait. La photo est prise du banc où nous nous étions affalés pour manger notre glace. Et pour en profiter...


Luján et Tigre sont deux promenades très appréciés des Portègnes et des habitants du Gran Buenos Aires, les dimanches par beau temps...

(1) l’année où le gouvernement du Front Populaire institua des congés payés en France.
(2) Alors tant mieux, puisque je n’y ai pas perdu au change et vous encore moins...
(3) Les lecteurs habituels de Barrio de Tango savent combien j’apprécie les poètes de Buenos Aires. Je me demande parfois si dans ce blog je ne parle pas plus de poésie que de musique. En tout cas, une chose est sûre, je parle plus de poésie que de danse... Car le tango, ce n’est pas que de la danse !
(4) La General Paz fait partie du réseau des Autopistas del Sol (autoroutes du soleil), le concessionnaire qui gère les infrastructures et empoche les droits des péages. Pour les curieux, vous pouvez aller visiter
son site. C’est très intéressant.
(5) Une centaine de kilomètres de large à la hauteur de Buenos Aires et jusqu’à 220 km à l’embouchure maritime, à la hauteur de Montevideo, sur une profondeur qui n’excède nulle part les 10 mètres.
(6) La langue espagnole ne fait pas de différence entre rivière et fleuve. Les deux s'appellent río.
(7) villa miseria : l’expression désigne les bidonvilles situés au sud des grandes villes, Buenos Aires la première, où vivent les plus défavorisés dans un grand isolement par rapport au reste de la population. Il est d’ailleurs fortement déconseillé aux touristes de s’aventurer dans une villa miseria. Non pas que les habitants y soient plus délinquants qu’ailleurs mais parce que la police est aux abonnés absents et la misère et l’abandon sont facteurs de violence.