mercredi 15 juillet 2009

Hommage à Enrique Cadícamo [Troesma]

Jacquette d'un des disques Melopea consacré à Enrique Cadícamo

Il y a 109 ans aujourd’hui naissait dans la bourgade de General Rodríguez, tout près du grand sanctuaire marial sud-américain de Luján, à l’ouest de la Province de Buenos Aires, le 10ème enfant d’un couple d’Italiens arrivés à Buenos Aires en 1876... Ce bébé, c’était Enrique Domingo Cadícamo qui allait devenir au cours d’une longue vie (il est décédé le 3 décembre 1999) l’un des plus prolifiques poètes du tango et aussi l’un de ses compositeurs, généralement sous le pseudonyme de Rosendo Luna (il cherchait un pseudo qui fleure bon la campagne...).
Allez, on s’en met un petit derrière la cravate ?

Che papusa, oí
los acordes melodiosos que modula el bandoneón;
Che papusa, oí
los latidos angustiosos de tu pobre corazón;
Che papusa, oí
cómo surgen de este tango los pasajes de tu ayer...
Si entre el lujo del ambiente
hoy te arrastra la corriente,
mañana te quiero ver...
(refrain de Che papusa, oí!, écrit en 1927, pour une partition de Gerardo Matos Rodríguez, le compositeur de La Cumparsita).

He mignonne, écoute donc
Les accords mélodieux que module le bandonéon,
He mignonne, écoute donc
Les battements anxieux de ton pauvre coeur;
He mignonne, écoute donc
Comment jaillissent de ce tango les passages de ton hier...
Si au milieu du luxe de ce milieu
(1)
Cela roule bien pour toi,
Demain je t’attends au tournant
...
(traduction Denise Anne Clavilier)

Yo soy del barrio de Tres Esquinas,
viejo baluarte de un arrabal
donde florecen como glicinas
las lindas pibas de delantal.
Donde en la noche tibia y serena
su antiguo aroma vuelca el malvón
y bajo el cielo de luna llena
duermen las chatas del corralón.
El Barrio de Tres Esquinas, sur une musique de Angel D’Agostino

Je suis du quartier des Trois Carrefours
Un vieux pilier du faubourg,
Où fleurissent comme glycines
Les jolies mômes en blouse.
Où dans la nuit douce et serein
Le géranium répand son parfum d’antan
Et sous le ciel de pleine lune

Dorment les charrettes de la remise. (2)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Hoy se vive de prepo
y se duerme apurao.
Y la chiva hasta a Cristo
se la han afeitao...
Hoy se lleva a empeñar
al amigo más fiel,
nadie invita a morfar...
todo el mundo en el riel.
Al mundo le falta un tornillo
que venga un mecánico...
¿Pa' qué, che viejo?
Pa' ver si lo puede arreglar.
(Al mundo le falta un tornillo, écrit en 1933, au coeur de la Grande Dépression, de 1929, sur une musique de José María Aguilar, l'un des guitaristes de Gardel).

Aujourd’hui on vit d’apparence
Et on fait des nuits courtes.
Et la barbe, on l’a rasée
Même au Christ
(3)
Aujourd’hui on dépose chez Ma Tante
L’ami le plus fidèle
Personne n’invite à bouffer...
Tout le monde est dans le pétrin.
Le monde ne tourne pas tourne pas rond
(4)
Faut faire venir le dépanneur...
Et pourquoi ça, vieux ?
Pour voir s’il ne peut pas nous arranger ça.

(Traduction Denise Anne Clavilier)


Lorsqu’après le scandale provoqué par le comportement odieux et les propos négationiste d’un prélat intégriste de la Fraternité Saint Pie V, Benoît XVI ,dans l’avion qui l’emmenait en Afrique, a dénoncé le rôle du préservatif dans les politiques de lutte contre l’épidémie de sida, le dessinateur de presse Daniel Paz, qui déteste le clergé et l’image, en fait une caricature, qu’il se fait lui-même de l’Eglise, s’est souvenu de ce dernier tango pour croquer, le 19 mars, la situation avec beaucoup d’esprit et sans blasphémer (mais il n’est pas toujours aussi mesuré).

En Afrique, le Pape a fait une demande terrible.
Qu’on arrête avec les guerres et avec la faim ?
(5)
Non, il a demandé que les gens ne mettent pas de préservatif. (6)
Il faudrait peut-être en parler à Dieu pour qu’il envoie le dépanneur, non ?
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Un Troesma du tango, qui reste donc très présent aujourd’hui encore dans les références culturelles de tout un chacun en Argentine et singulièrement à Buenos Aires (Página/12, c’est très portègne, même s’il y a une édition spéciale pour la ville de Rosario, un peu plus au nord).
Un grand monsieur, qui ne s’était pas fait que des amis, qui s’est même attiré quelques franches inimitiés (j’en connais qui ne le portent pas dans leur coeur).
Un jeune vieillard aussi qui est resté présent et actif jusqu’à son dernier souffle, et dont des gens comme Héctor Negro, Luis Alposta ou Litto Nebbia ont été très proches et gardent un souvenir brillant et ému.

Il y a en particulier plein de choses à découvrir le concernant sur le site de Melopea, dont des disques d’inédits chantés par Litto lui-même et par Adriana Varela...

Ici, grâce à Todo Tango, la version de Che papusa oí chantée par le chanteur uruguayen Julio Sosa, celle de Gardel, qui lui a enregistré 23 morceaux, chantant Al mundo le falta un tornillo en 1933 et Tres Esquinas, chanté par Angel Vargas accompagné par l'orchestre de Angel D'Agostino, du temps où on les appelait tous les deux "Los dos ángeles del Tango"...
Pour aller plus loin :
lire la page consacrée à Enrique Cadícamo sur Todo Tango
lire mon article d’avant-hier sur Melopea et la caverne d’Ali-Baba qu’est le nouveau site de ce label...
(1) le luxe ambiant, c’est celui du cabaret, dans les années 20 et 30. Et la mignonne en question, c’est une milonguita, un cocotte qui gagne sa vie avec les sous que lui donnent des messieurs riches pour s’amuser avec eux... à toutes sortes de jeux. C’était la Buenos Aires d’alors. Et Cadícamo, éternel célibataire, aimait jouer les cyniques et les blasés. En 1960, il changea son fusil d’épaule, se maria et acheva la transformation de son style de vie lorsqu’il devint papa d’une petite fille, Mónica, en 1963. Cette petite fille qui fut un temps l’une de ses meilleures interprêtes, une voix en or que vous pouvez découvrir dans le documentaire que réalisa Litto Nebbia en 1995, La historia vuelve a repetirse (ed. Melopea, à découvrir sur le tout nouveau site, tout beau tout neuf, de la maison de disques. Lien dans la rubrique Les commerçants del Barrio de Tango, dans la partie inférieure de la Colonne de droite).
(2) las chatas del corralón : un lieu commun des faubourgs de Buenos Aires. Dans le sud de la ville, il y avait (et il y a encore) de très nombreuses tanneries qui disposaient chacune d’une véritable flotte de carrioles attelées pour transporter la marchandise.
(3) On ne respecte même plus rien. On fait commerce de tout.
(4) Textuellement : au monde, il lui manque une vis. Expression toute faite pour dire que plus rien ne marche correctement. On pourrait dire aussi en français : il lui manque une case.
(5) ce que le Pape a en effet demandé mais cela a eu beaucoup moins de succès dans les gazettes et n’a fait l’objet d’articles que dans les quotidiens de stricte obédience catholique, comme La Croix ou La Libre Belgique...
(6) Même ça, ce n’est pas ce que le Pape a dit. Il a dit qu’il ne fallait bâtir sur préservatif les stratégies de prophylaxie
.