lundi 17 novembre 2008

Sale temps pour Carlos Menem [actu]

Le péroniste Carlos Menem a été le second président de la démocratie actuelle en Argentine. Il a succédé au radical Raúl Alfonsín, un avocat qui avait été durant la Dictature un authentique militant des droits de l’homme. Carlos Saúl Menem a occupé la Casa Rosada pendant 10 ans, c’est-à-dire plus longtemps que Perón, premier Président élu pour deux mandats consécutifs (qu’il ne termina pas : il fut renversé en 1955 par un coup d’Etat au milieu du second mandat).

Carlos Menem est né en 1930 dans la Province de la Rioja. Il a accédé à la Présidence de la République en 1989 et a quitté la Casa Rosada en 1999, laissant la place à Fernando de la Rúa, le Président en fonction en 2001 lors de l’effondrement bancaire, le Président qui symbolise le naufrage du pays. Ce naufrage avait été amplement préparé par la politique insensée de Menem, une politique libérale totalement déréglementée, sous la pression forte du FMI, ce qui est pour le moins paradoxal pour un péroniste : l’une des caractéristiques du péronisme est de résister encore et toujours à toutes les pressions, notamment économiques, des agents de l’"impérialisme américain" dont le FMI a été, de fait et peut-être à son corps défendant, un allié objectif redoutable pour tous les pays peu ou mal industrialisés (en Afrique, Asie et Amérique Latine).

C’est Carlos Menem qui, dès le début de son mandat, a privatisé l’entreprise pétrolière nationale YPF en la vendant à Shell et a donc privé son pays de cette manne qui lui serait si précieuse aujourd’hui, qui a aussi vendu la compagnie d’aviation nationale, Aerolineas Argentinas, fleuron et le modèle de toutes les compagnies sud-américaines, à Iberia qui l’a refilée contre de la monnaie de singe à l’empire péninsulaire du tourisme de masse Marsans. C’est lui qui a mis en place le système de retraite par capitalisation dit aujourd’hui des AFJP, censé être tellement plus performant que le système par répartition, qu’on accusait alors des pires maux, alors qu’il était malade de l’évasion sociale des entreprises argentines, qui opèrent au noir, sans régler leurs cotisations de sécurité sociale. Carlos Menem est donc l’auteur de la politique que l’actuel gouvernement de Cristina Fernández de Kirchner est en train de démonter pièce à pièce, avec le rachat d’Aerolineas et l’élimination des AFPJ au profit de l’universalisation du système par répartition.

Aujourd’hui sénateur de sa province natale, Carlos Menem est aussi le leader de l’opposition aux Kirchner, mari et femme, au sein du parti péroniste, le PJ (Partido Justicialista). L’année dernière, il a cherché à faire exclure le couple, en l’accusant d’avoir trahi la cause et l’orthodoxie du PJ en concluant une alliance électorale avec une aile de l’UCR (Unión Cívica Radical), le parti de Raúl Alfonsín, un parti qui s’est fortement opposé à Perón lorsque celui-ci a surgi entre 1943 et 1946 dans le paysage politique argentin, un parti de classe moyenne naissante fondé en 1891 et resté foncièrement hostile à l’idéologie péroniste, d’assise ouvrière et nettement plus populaire. La manoeuvre de Menem a fait pschitt, Cristina Fernández a été élue Présidente de la République haut la main, elle a succédé à son mari à la Casa Rosada et ce dernier préside aujourd’hui le PJ. L’UCR, quant à elle, au moins une bonne partie de ses troupes, celle qui n’a pas intégré l’alliance gouvernementale, est depuis peu entrée en négociation avec le parti de droite, Coalición Cívica, au grand dam du vieux Raúl Alfonsín... PJ et UCR sont les deux courants de la gauche de gouvernement en Argentine.

Ainsi donc le nemenisme politique a du plomb dans l’aile et de surcroît, l’ancien président play-boy et m’as-tu-vu se trouve aujourd’hui impliqué dans une sombre affaire de trafic d’armes en faveur de l’Equateur et de la Croatie pendant sa présidence. Il évite pour le moment la confrontation directe avec le juge et le procès en produisant des certificats médicaux qui le disent malade au fin fond de sa province mais ne voilà-t-il pas que sur ces entrefaites, un autre soupçon horrible vient de s’abattre sur sa tête. Un juge vient en effet de le convoquer pour l’inculper d’entrave à la justice dans le cadre de l’enquête sur l’attentat de l’AMIA.

L’AMIA est une grande institution sociale juive, tout à la fois une mutuelle, une institution culturelle et une instance de représentativité de la Communauté israélite auprès des corps constitués. Le 18 juillet 1994, une camionnette explosa devant le siège de l’AMIA, situé alors dans la rue Pasteur à Buenos Aires (non loin du quartier de l’Abasto). Le bâtiment lui-même vola en éclats et l’explosion fit en tout 85 morts et plusieurs centaines de blessés, dont la plupart étaient soit des employés de l’AMIA soit des visiteurs, donc très majoritairement des juifs. On n’a jamais identifié les exécuteurs de cet attentat ni ses commanditaires bien qu’il présente tous les traits d’un attentat relatif au conflit israélo-arabe. Il y a deux ans environ, le gouvernement de Néstor Kirchner a accusé l’Iran d’être à l’initiative de l’attentat. Cela a bien fait rire les observateurs internationaux qui ont trouvé l’idée un peu trop opportuniste et y ont vu une main de l’Argentine servilement prêtée aux Etats-Unis alors en quête de motifs contre l’Iran et sa politique nucléaire. L’explication est difficile à accepter quand on connaît le peu d’inclination envers la politique de Georges Bush que professe Néstor Kirchner.

Il y a quelques jours, le juge fédéral Ariel Lijo a convoqué Carlos Menem à un interrogatoire parce qu’il le soupçonne d’avoir tout fait à la Casa Rosada pour couvrir deux membres de son entourage personnel et leur éviter toute poursuite judiciaire alors que de nombreux indices tendent à les incriminer dans l’exécution de l’attentat. Ces deux hommes, père et fils, semblent mouillés jusqu’au cou dans le vol d’une première camionnette puis la location de celle qui fut piégée, ils ont été vus aux abords du Siège de l’AMIA quelques minutes avant l’explosion et ils se sont retrouvés fort opportunément invités à la Casa Rosada le 1er août, alors que des policiers commissionnés par le juge s’étaient mis en route pour arrêter le fils. Quelques temps après, le frère du Président, Munir Menem, qui avait alors un poste important à la Direction de la magistrature argentine, est intervenu auprès du juge chargé de l’enquête, lequel après ce contact a abandonné totalement cette piste et a préféré inculper un groupe d’anciens policiers provinciaux de Buenos Aires (blanchis depuis) puis a procédé à divers détournements de pièces du dossier d’instruction. Le juge en question a été démis, poursuivi et condamné pour ces faits. Il fait partie des personnes que le juge Lijo veut interroger aux côtés des frères Menem et de plusieurs hauts gradés de la police, des services secrets (la SIDE, Secretaría de Inteligencia del Estado) et de la magistrature dans le cadre de son enquête pour obstruction à la justice.

Il se trouve que le père et le fils Kanoore, suspectés d’avoir commis l’attentat, avaient parti liée avec un attaché de l’Ambassade d’Iran en Argentine, un certain Rabbani, désormais sous mandat d’arrêt international, et qu’il sont sirio-argentins. Or, toute l’onomastique familiale en témoigne, Carlos Menem appartient lui aussi à une famille chrétienne originaire de la façade est de la Méditerranée. Quand les territoires syrien, libanais et israélien appartenaient à l’Empire Ottoman, de nombreux chrétiens ont quitté ces terres et leur statut politique inférieur à celui des sujets musulmans du Sultan pour une terre qu’ils espéraient plus accueillante.

Ces aspects occultes de l’affaire ont pu être révélés parce que Néstor Kirchner, au cours de sa présidence, a fait lever le secret sur le dossier AMIA et que divers documents, dont l’enregistrement de conversations téléphoniques, ont pu arriver jusqu’au bureau des magistrats instructeurs.

Dans une dizaine de jours, Carlos Menem est convoqué pour se voir signifier son inculpation pour trafic d’armes. Et par ailleurs, il est aussi poursuivi pour des mensonges découverts dans sa déclaration de patrimoine, celle que doivent faire sous serment tous les mandataires publics avant de prendre leurs fonctions électives.